12 Years a Slave (2014) : L’esclavage à travers les yeux d’un héros hors norme

12 Years a Slave (2014) : l’esclavage à travers les yeux d’un héros hors norme

Le film “12 Years a Slave” réalisé par Steve McQueen raconte l’histoire de Solomon Northup, un homme noir exceptionnel. Lorsque Steve McQueen cherchait une histoire à raconter, il a été séduit par cette particularité :

“I really wanted to tell a story about that time and place and the slave era in America but I wanted to have a character that was not obvious in terms of their trade in slavery, someone who had artistic abilities and who had station but found themselves in a different geographical location. Something that has scope and scale emotionally.”

Le réalisateur britannique Steve McQueen et le scénariste John Ridley (tous les deux noirs, ce qui est de bon ton de noter) ont donc recherché à parler de l’esclavage selon un angle original. On peut tout à fait comprendre cette approche comme une volonté de se démarquer d’une narration qui paraîtrait trop traditionnelle et d’apporter un regard neuf sur le sujet. Mais en adoptant un certain point de vue qui reste historiquement exceptionnel, le film ne risque-t-il pas de porter un regard biaisé sur l’esclavage ? La question est d’autant plus cruciale que cette période de l’histoire états-unienne a soulevé de nombreuses interrogations et controverses.

Un héros au-dessus de la masse noire

Solomon Northup est un noir libre résidant dans un des États du Nord à une époque où des centaines de milliers de noirs survivaient dans un État d’esclavage dans les plantations du Sud profond. Dans le film, Solomon Northup apparaît comme un homme heureux et “normal” selon des critères socio-économiques : c’est un noir qui a sa vie en main et qui semble bien intégré dans la société blanche. Le héros connaît un bonheur complet qui va lui être arraché par l’esclavage et qu’il n’aura de cesse de chercher à retrouver pendant toute la durée du film.

À lire aussi  Comment coller des photos dans un album photo ?

Pour mieux comprendre les enjeux de l’adaptation cinématographique de 12 Years a Slave et en analyser le propos, il semble nécessaire de revenir à la lecture du texte original, le récit autobiographique de Solomon Northup lui-même. Mais il est surtout indispensable de s’appuyer sur les travaux des historiens qui ont largement étudié l’histoire de l’esclavage aux États-Unis, car cet épisode est marquant dans la construction de l’État fédéral.

Le paradis des États du Nord abolitionnistes

Un autre des aspects les plus surprenants du film 12 Years a Slave est sans conteste son silence total au sujet du racisme et des discriminations dont les noirs sont victimes dans les États où l’esclavage a été aboli. Dans De la Démocratie en Amérique, paru entre 1835 et 1840, c’est-à-dire à l’époque même où vivait Northup avant de devenir esclave, Tocqueville écrivait :
« Le préjugé de la race me paraît plus fort dans les États qui ont aboli l’esclavage que dans ceux où l’esclavage existe encore, et nulle part il ne se montre aussi intolérant que dans les États où la servitude a été inconnue […] Au Sud, où l’esclavage existe encore, on tient moins soigneusement les Nègres à l’écart […] la législation est plus douce à leur égard ; les habitudes sont plus tolérantes et plus douces. »

Dans l’État de New-York ou à Washington D.C., jamais Northup n’est montré à l’écran confronté à une situation discriminante. Le livre reste également discret sur ces aspects mais ils sont pourtant bien évoqués. Toutefois, le film manque une opportunité de prendre du recul par rapport au texte original et par la même occasion alimente une représentation binaire inexacte : les “gentils” États du Nord abolitionnistes contre les États du Sud profond, esclavagistes et diabolisés.

À lire aussi  Prenez rendez-vous à la préfecture de Montpellier

Une description fidèle de la vie des esclaves dans le Sud ?

Le film “12 Years a Slave” retranscrit la cruauté et la violence de l’esclavage de manière fidèle, notamment en décrivant les conditions de travail des esclaves dans les champs de coton et de canne à sucre. Il montre également l’autonomie relative des esclaves sur certains aspects de leur vie. De plus, le film met en avant l’importance de la religion dans le Sud, une dimension absente du texte original. Toutefois, le film ne traite pas du racisme et des discriminations dont les noirs sont victimes dans les États du Nord abolitionnistes. Il ne montre pas non plus les réalités de la sexualité des femmes noires esclaves, ni la complexité des relations familiales au sein de la communauté noire. Ces choix peuvent être qualifiés de biaisés et contribuent à une représentation incomplète et parfois négative des femmes noires dans le film.