1899, LA VOITURE ÉLECTRIQUE LA PLUS RAPIDE DE TOUS LES TEMPS

1899, LA VOITURE ÉLECTRIQUE LA PLUS RAPIDE DE TOUS LES TEMPS

L’ère de la motorisation électrique a connu son apogée à la fin du XIXe siècle, bien avant la bataille actuelle entre la Bluecar de Bolloré et la Zoé de Renault pour la suprématie des batteries. Cependant, cette époque prometteuse fut entravée par une autonomie insuffisante.

En 1890, Daimler, Panhard et Peugeot ont présenté les premiers quadricycles à essence, un événement que l’on pourrait considérer comme la naissance de l’automobile. Mais les choix techniques n’étaient pas encore définis. La compétition entre différentes sources d’énergie était toujours féroce, bien que certaines solutions se soient avérées meilleures que d’autres. La voiture à vapeur, lourde et peu maniable, a été discréditée face aux voitures électriques et à essence, qui présentaient de réels avantages. Contrairement à la voiture à essence qui consommait 10 litres de gazoline aux 100 kilomètres, la voiture électrique était moderne, facile à utiliser et économique. Cependant, à l’époque, la gazoline était facilement disponible dans les épiceries, tandis que les stations de charge pour les voitures électriques étaient encore rares dans un pays où le réseau électrique était en cours de développement.

La modernité s’accompagne également de la vitesse et du sport. Les voitures ne faisaient pas exception : l’objectif était de dépasser les 64,2 km/h atteints par la bicyclette d’un certain Albert Champion en 1897. Sous la pression de l’Automobile Club de France et de la presse spécialisée, un lieu de vitesse automobile a été trouvé à Achères (Yvelines). Une ligne droite de plus de 2 000 mètres, parfaitement plate, a été découverte. Le 10 décembre 1898, le règlement de la Course de vitesse sur deux kilomètres a été publié. Pour remporter cette épreuve, il fallait atteindre la plus grande vitesse et conserver ce record pendant un an en relevant tous les défis. Le 18 décembre, 21 concurrents étaient au départ : treize voitures à essence, sept tricycles et une voiture électrique. Les chronométreurs ont annoncé la victoire du comte Gaston de Chasseloup-Laubat, un ingénieur qui avait atteint une vitesse de 63 km/h au bout des 2 000 mètres. La surprise était que la voiture gagnante était électrique ! Les ingénieurs n’étaient pas étonnés : si les courses de longue distance étaient propices aux voitures à essence, les voitures électriques étaient les meilleures en matière de performance pure.

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Le 17 janvier 1899, le Belge Camille Jenatzy, à la fois coureur automobile reconnu et ingénieur, a relevé le défi en établissant un nouveau record à 66,6 km/h avec sa Dogcart électrique, malgré une batterie déchargée en fin de course. Immédiatement après, Gaston de Chasseloup-Laubat, au volant de sa voiture électrique Jeantaud, a conservé son titre en atteignant 70,5 km/h… mais son moteur a grillé sur la ligne d’arrivée. Dix jours plus tard, Jenatzy, surnommé “le diable rouge” en raison de sa barbe rousse, est revenu à Achères et a remporté la victoire en frôlant les 80 km/h. Cependant, Chasseloup-Laubat est réapparu avec un nouveau bolide, doté d’une carrosserie profilée pour une meilleure aérodynamique. Il a pulvérisé le record en parcourant le dernier kilomètre en 1 minute 27 secondes, atteignant ainsi une vitesse de 92,3 km/h. Camille Jenatzy n’a pas abandonné pour autant. Le 29 avril, il a pris le volant d’une voiture révolutionnaire : une monoplace extrêmement basse, mesurant 3,80 mètres de long, avec une carrosserie en forme d’obus construite en partinium (un alliage d’aluminium, de tungstène et de magnésium) par les établissements Rheims et Auscher. Cette voiture était équipée de deux moteurs électriques Postel-Vinay d’une puissance totale de 50 kW (68 ch). Les deux moteurs étaient situés à l’arrière pour une meilleure stabilité et pour loger les 80 éléments des batteries Fulmen. L’engin pesait 1,5 tonne (dont 800 kg de batteries) et reposait sur quatre petites roues équipées de pneus Michelin. Son nom, “La Jamais Contente”, était une référence à l’insatisfaction perpétuelle qui animait son pilote. Mais cette fois-ci, Jenatzy pouvait afficher sa satisfaction. À une vitesse de 105,8 km/h, sa voiture électrique est devenue la première à franchir la barrière des 100 km/h, entrant ainsi dans l’histoire. Sa victoire aurait pu sembler totale : Chasseloup-Laubat a reconnu sa défaite et s’est retiré de la compétition. Cependant, un doute persistait et a fini par signer la défaite à long terme de la voiture électrique. Bien qu’elle ait remporté la victoire en matière de vitesse, elle l’a fait avec une batterie vide à l’arrivée : plus de 100 km/h, certes, mais pas plus de 2 kilomètres d’autonomie !

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L’année suivante, un appel d’offres a été lancé pour le marché des taxis parisiens, ce qui a confirmé les piètres performances des voitures électriques. Avec une autonomie de seulement 60 km à une vitesse de 15 km/h, les chauffeurs étaient contraints de revenir trop souvent à la station de charge et d’y attendre sept heures. Ce constat a poussé les ingénieurs à explorer d’autres solutions. C’est ainsi que l’hybride pétroléo-électrique a vu le jour, avec un moteur à essence et un moteur électrique – ce dernier rechargeait la batterie du moteur électrique en actionnant une dynamo. La presse a salué cette vision révolutionnaire en déclarant : “L’union du pétrole et de l’électricité est l’avenir de l’automobile”, selon les mots de La Locomotion automobile en 1901. Cependant, le développement de cette technologie a pris du temps, tandis que les performances des voitures à essence continuaient de s’améliorer. En janvier 1906, la Direction des études économiques du Crédit lyonnais vantait encore les qualités de la motorisation électrique : “Pas de changement de vitesses, pas d’allumage, pas de leviers de carburation et d’étranglement des gaz, pas de manivelle pour démarrer car cela se fait instantanément, sans oublier un freinage électrique dans les descentes et un éclairage des phares”. Cependant, il était déjà trop tard pour séduire les automobilistes européens, qui s’étaient tous convertis à l’essence dès 1900.

Cependant, aux États-Unis, l’histoire était différente. L’arrivée de la voiture électrique en 1883 a conduit à sa fabrication à Philadelphie, puis à Detroit sous les marques Detroit Electric, Milburn Wagon et Studebaker. En 1904, les voitures électriques représentaient un tiers de toutes les voitures en circulation ! Ce succès s’explique par trois facteurs : le réseau routier peu développé limitait l’utilisation de la voiture à la ville, le faible kilométrage urbain permettait d’ignorer la faible autonomie, et la simplicité d’utilisation conquérait les clients dans un pays où les chauffeurs mécaniciens étaient rares et où les femmes, plus ouvertes aux progrès techniques qu’en Europe, prenaient le volant. Cette exception américaine a atteint son apogée en 1914, lorsque Milburn Wagon a vendu 7 000 voitures… avant que le marché ne s’effondre. Certes, les constructeurs Buick, Chevrolet, Dodge et Ford ont remporté la bataille des prix en proposant des modèles à essence pour 1 000 dollars, tandis que les voitures électriques coûtaient le double. Mais deux autres facteurs ont joué un rôle encore plus important. Tout d’abord, la construction du réseau routier a permis aux voitures à essence de prendre la route, soulignant ainsi que le problème de l’autonomie n’était toujours pas résolu. Ensuite, en 1911, Charles Kettering de chez Cadillac a inventé le démarreur électrique, éliminant ainsi la contrainte lourde, voire rédhibitoire, de la manivelle. Ironiquement, c’est l’électricité qui a finalement mis fin à l’ère de la voiture électrique !

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Pour conclure, il est intéressant de noter que malgré les performances impressionnantes de la voiture électrique il y a plus d’un siècle, le manque d’autonomie a finalement conduit les automobilistes à se tourner vers les voitures à essence. Cependant, avec les avancées récentes dans les technologies des batteries et la prise de conscience de l’importance de l’environnement, la voiture électrique est de retour et prête à conquérir le monde de l’automobile une fois de plus.


Professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Evry, directeur du laboratoire IDHE (CNRS).