Les emprunts de la langue française à l’arabe ne se limitent pas aux termes tels que “sarouel”, “babouche” et “hammam”. En réalité, ils sont beaucoup plus nombreux et plus couramment utilisés que ce que nous pourrions penser. En effet, parmi les plus de quatre cents mots français d’origine arabe, une centaine est régulièrement utilisée. Des termes tels que “café”, “sucre”, “orange”, “épinard”, “aubergine”, “abricot”, “magasin”, “jupe”, “coton”, “gilet”, “camaïeu” et bien d’autres encore ont tous des origines arabes.
Des mots qui ont voyagé à travers l’histoire
Ces mots arabes ont trouvé leur place en Europe au moment de la conquête musulmane de la péninsule ibérique. Au fil du temps, ils se sont propagés grâce aux échanges commerciaux et universitaires, notamment dans les domaines du textile et de la gastronomie. Du VIIIe au XVe siècle, ils ont traversé l’Espagne, l’Italie et la France, laissant ainsi des traces indéniables de leur passage. Selon Jean Pruvost, auteur de “Nos ancêtres les Arabes : Ce que notre langue leur doit”, le français compte deux fois plus de mots d’origine arabe que de mots d’origine gauloise !
Un menu français aux influences multiples
La gastronomie française, réputée pour sa singularité et sa richesse, fait appel à des ingrédients provenant des quatre coins du monde. Prenons l’exemple de l’abricot. Le mot lui-même est inspiré de l’arabe “al-barquq”, qui signifie “fruit précoce”. Il dérive du grec “praekokhion” et du latin “praecoqum”, qui signifient tous deux “cuire avant”. En espagnol, il est connu sous le nom “albaricoque”. Cette dernière syllabe “-cot” évoque d’ailleurs le mot “cuit”, ce qui suggère que l’abricot est un fruit qui mûrit précocement.
De même, la pastèque a une histoire orthographique intéressante. Son origine remonte à l’arabe “bâttihah”. Par le biais du portugais “pateca”, le mot est arrivé en français sous la forme de “patèque” en 1512. Ce n’est qu’au début du XVIIe siècle que la lettre “S” a été ajoutée pour devenir “pastèque”.
Un autre exemple est celui de l’alcool, proscrit par la chaleur et le Coran. Le mot lui-même vient de l’arabe “al-khol” et désignait à l’origine une poudre à base d’antimoine utilisée pour se maquiller les yeux. Par extension, le terme a été associé à tout produit obtenu par distillation. Les pharmaciens sont les premiers à avoir établi un lien entre l’alcool et le vin, et depuis, le mot est utilisé dans de nombreuses formes et dans divers contextes.
Des apports textiles et linguistiques étrangers
Le mot “gilet” provient également de l’arabe. À l’origine, le mot “galika”, devenu “yelek” en turc, désignait une casaque portée par les prisonniers chrétiens sur les galères. Ce n’est qu’au XVIIe siècle que le lexique français a adopté le terme “gilet” pour désigner la camisole sans manches. Les mots “coton” et “cuir” ont également des origines arabes et sont souvent associés à l’art de la maroquinerie, qui doit beaucoup au Maroc. De même, le mot “cordonnerie” pourrait avoir pour origine la ville de Cordoue, connue pour la fabrication d’un certain type de cuir appelé le “cordouan”.
Lorsque nous passons la douane, emprunté à l’arabe “dîwân”, nous arrivons au magasin. Un document datant de 1228 atteste que les bateaux marseillais avaient l’autorisation de stocker leurs marchandises dans les “mahazin” des ports du Maghreb. Au fil des voyages, le mot a évolué pour devenir “magasin”. En Angleterre, le mot était utilisé pour désigner les grands dépôts d’informations que sont les périodiques. Les Français l’ont adopté en ajoutant un “z” pour le distinguer de son homonyme anglais.
Des influences également dans le domaine militaire
La colonisation linguistique ne s’est pas faite sans conquête, même si les mots empruntés n’ont pas gardé leur connotation guerrière. Par exemple, le mot “baroudeur” vient de “barud”, qui signifie “poudre explosive”. Les soldats de la Légion étrangère l’ont introduit dans leurs casernes, et le terme est devenu synonyme de “bagarre”, rapidement associé au “baroud d’honneur”, un combat mené pour préserver son honneur. Dans un article du Figaro datant du 17 juillet 1979, on peut lire : “Son baroud d’honneur fut d’arriver détaché à l’Alpe d’Huez.” Heureusement, de nos jours, plus besoin de se battre pour “barouder”.
Dans le domaine de l’infanterie, le mot “tambour” provient de l’arabe “at-tunbür”. À l’origine, il désignait un instrument à cordes, mais il a évolué au fil du temps pour devenir “tambour”. Quant au mot “timbale”, il est issu d’un mélange des mots “jat-tahl” et “cymbale” d’origine grecque. Aujourd’hui, il peut faire référence à un instrument à cuivre ou à un gobelet en métal.
Enfin, un peu d’argot ! Le mot “kiffer” a récemment été intégré dans le Petit Larousse et pourrait faire son entrée dans la prochaine édition du Dictionnaire de l’Académie française grâce au soutien d’Éric Orsenna. Le mot “kif-kif”, également emprunté à l’arabe, signifie “égal” ou “similaire” et provient du mot arabe “kayf”, qui désigne le bien-être ou l’effet provoqué par une drogue. Il manque encore quelques pirouettes pour atteindre le saint graal du Dictionnaire de l’Académie, mais qui sait, peut-être un jour rejoindra-t-il les autres mots arabesques qui enrichissent notre langue ?