Les trois arrêts récents de la Cour de cassation du 7 novembre 2019 rappellent que c’est à l’administration, en l’occurrence la commune, de prouver qu’un local est à usage d’habitation. Ces arrêts font écho à une décision prise par le Conseil d’État le 5 avril de la même année.
Rappels sur la notion d’usage au sens du Code de la construction et de l’habitation
La distinction entre destination et usage d’un immeuble peut parfois être complexe. La destination renvoie à la raison pour laquelle le bâtiment a été construit, tandis que l’usage concerne son utilisation effective. L’usage est plus simple, étant divisé en deux catégories : habitation et autres qu’habitation.
Selon l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, il existe deux types de locaux : habitation et autres qu’habitation. Pour passer d’un type à l’autre, une autorisation est nécessaire et peut être conditionnée à une compensation, c’est-à-dire la transformation des locaux d’un usage autre qu’habitation en locaux à usage d’habitation.
Il est important de souligner que l’usage est évalué pièce par pièce, et non pour tout le bâtiment. Les lois et règlements en vigueur limitent la capacité des propriétaires à modifier l’usage des logements, indépendamment des règles d’urbanisme.
Le changement d’usage est personnel, temporaire et incessible, à moins qu’il ne s’agisse d’un changement par compensation, ce qui permet un changement d’usage réel, définitif et cessible par la cession des locaux ou de l’immeuble concerné.
Cette autorisation s’applique aux communes de plus de 200 000 habitants, ainsi qu’aux communes des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, et aux communes qui en font la demande, à l’exception des zones franches urbaines où le contrôle de l’usage n’est pas applicable.
L’article L. 631-7 du Code de commerce énumère les locaux dont l’usage doit être préservé et qui sont donc soumis à des contrôles.
L’arrêt du Conseil d’État du 5 avril 2019
Dans cette affaire, le propriétaire d’un bien immobilier à Neuilly-sur-Seine, initialement à usage de garage et de remise, avait signé une promesse de vente. Après la signature de la promesse, la commune a affirmé que le bien était à usage d’habitation. En apprenant cela, l’acheteur potentiel s’est rétracté et le vendeur a intenté une action contre la commune.
La cour administrative d’appel de Versailles avait accepté la demande du vendeur, en se basant sur l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, qui stipule qu’en l’absence d’autorisation de changement d’affectation ou de travaux ultérieurs, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu’il soit nécessaire de vérifier si cet usage était fondé en droit à cette date.
Cependant, le Conseil d’État a jugé que la cour avait méconnu la portée des dispositions de l’article L. 631-7. Selon lui, cet article présume un usage d’habitation, sauf preuve contraire. Par conséquent, il est nécessaire de vérifier la régularité d’un changement d’usage et de rechercher des preuves démontrant l’usage réel du local ou de l’immeuble, tant avant qu’après le 1er janvier 1970.
L’arrêt de la Cour de cassation du 7 novembre 2019
Dans cette affaire, c’est la commune de Paris qui a assigné le propriétaire d’un bien et le locataire d’une société, affirmant qu’un local d’habitation était affecté à un autre usage. La cour d’appel de Paris avait donné raison aux défendeurs, et la Cour de cassation a confirmé cette décision, reprochant à la commune de ne pas avoir apporté la preuve de l’usage d’habitation.
La commune s’est appuyée sur une déclaration de 1972 qui qualifiait le local de studio. Cependant, les défendeurs ont fait remarquer que cette déclaration comportait la mention “annulée” sur sa première page, sans aucune explication de la part de la commune. De plus, le règlement de copropriété et les actes d’acquisition du bien ne prouvaient pas que le local était affecté à un usage d’habitation au 1er janvier 1970.
Un rapport de la direction du logement et de l’habitat de la commune indiquait également que le local était utilisé comme réserve et chambre froide d’un restaurant, sans aucune commodité pour l’habitation. De plus, les baux et cessions de fonds de commerce successifs n’étaient pas des baux mixtes, mais uniquement destinés à un usage commercial.
Sur la base de ces éléments, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel selon laquelle la commune de Paris n’avait pas apporté la preuve que le bien était affecté à un usage d’habitation au 1er janvier 1970.
Les arrêts de la Cour de cassation du 28 novembre 2019
Dans deux affaires, la commune de Paris a assigné en référé la propriétaire d’un appartement pour avoir loué le bien à une clientèle de passage, en contravention avec l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel dans ses décisions, soulignant qu’une preuve datée postérieure au 1er janvier 1970 ne pouvait être prise en compte pour démontrer l’usage d’habitation.
Portée des arrêts de la Cour de cassation
Ces arrêts mettent en évidence le fait que c’est à la commune de prouver un éventuel changement irrégulier d’usage. De plus, toute preuve datée postérieurement au 1er janvier 1970 ne peut pas être utilisée pour prouver l’usage d’habitation, et les travaux réalisés sans autorisation après cette date n’ont aucune valeur probante.
La Cour de cassation propose une interprétation plus précise de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, qui a une incidence sur la charge de la preuve et sur la règle même énoncée dans cet article.