Comment passer un pacte avec le diable

Comment passer un pacte avec le diable

Les moments exceptionnels arrivent toujours tardivement, mais arrivent tout de même dans ce Festival d’Avignon. Après Krzysztof Warlikowski et ses Angels in America, voici Guy Cassiers et son Mefisto for Ever, une œuvre qui conjugue audace formelle et ampleur du propos. Le public a longuement applaudi cette adaptation libre du roman de Klaus Mann, publié en 1936. Tom Lanoye, l’auteur, et Guy Cassiers, le metteur en scène, ancrent cette pièce dans la réalité de la Flandre et de la ville d’Anvers, où l’extrême droite a gagné du terrain.

Un théâtre multimédia d’une maîtrise rare

Mefisto est une puissante réflexion sur le théâtre, le pouvoir, l’illusion et la réalité. Dans une esthétique contemporaine, Cassiers nous offre un théâtre multimédia d’une maîtrise rare. Dans le cadre enchanteur du Théâtre municipal d’Avignon, une troupe de comédiens répète Hamlet, cette pièce où le prince de Danemark déclare : “Le théâtre est le piège où j’attraperai la conscience du roi”. L’action se situe lors des élections qui ont amené Hitler au pouvoir, entre la fin de 1932 et le début de 1933.

Au centre de cette pièce, il y a un acteur de théâtre, Kurt Köpler, qui est également le directeur du Théâtre national et sympathisant gauchiste. Il devra faire face à l’arrivée des nazis au pouvoir et à un personnage surnommé “le gros”, un maréchal d’aviation et ministre de la culture supposé, qui doit beaucoup à Göring.

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Le pacte avec le diable

Pour pouvoir continuer à jouer et monter des pièces de Shakespeare, Tchekhov ou Goethe, Kurt Köpler va être contraint de faire des compromis avec le régime nazi qu’il déteste, devra signer un pacte avec le diable. Face à lui, on retrouve toute une palette de comportements, notamment à travers quelques merveilleuses figures de femmes.

Le personnage de Kurt est l’un des plus grands changements par rapport au livre de Klaus Mann. Lanoye et Cassiers l’ont retravaillé en s’inspirant de l’acteur allemand Gustav Gründgens, qui avait servi de modèle à l’écrivain, pour en faire un personnage plus complexe.

Une observation des mécanismes humains

La grande force de ce spectacle est de ne jamais tomber dans l’anathème ou la diabolisation, mais plutôt d’observer les mécanismes humains, sociaux, économiques et psychologiques qui poussent un individu, voire un peuple, à collaborer avec un régime dont la manipulation est au cœur du pouvoir. Même les nazis, dans cette mise en scène réfléchie et distanciée, sont montrés comme des acteurs tragiques pris dans un jeu de miroirs éclatés.

Josse De Pauw, dans son extraordinaire interprétation de pseudo-Göring, rappelle le Kurt-Marlon Brando d’Apocalypse Now de Coppola. Au cœur de ces ténèbres, le jeu des comédiens est essentiel. Dirk Roofthooft, dans le rôle de Kurt, incarne avec une fluidité impressionnante la folie shakespearienne, passant de la grisaille à la folie. Ils sont remarquables, aidés par un système de micros individuels qui leur permet de créer une intimité mentale avec les spectateurs.

Un travail vidéo d’une rare finesse

Le travail de Guy Cassiers, découvert l’an passé dans ce festival avec Rouge décanté, est encore peu connu en France. Espérons que ce Mefisto ne soit que le début d’une longue collaboration. Cette pièce allie à la perfection la finesse du travail vidéo, la beauté plastique époustouflante et l’intelligence de la progression dramaturgique. Mefisto, pour toujours. Le théâtre dans le théâtre est le grand théâtre, que ce soit Shakespeare, Corneille ou Tchekhov.

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Mefisto for Ever, de Tom Lanoye, d’après Klaus Mann. Mise en scène : Guy Cassiers. Avec Gilda De Bal, Josse De Pauw, Vic De Wachter, Peter Gorissen, Abke Haring, Dirk Roofthooft, Stefan Perceval, Ariane van Vliet et Katelijne Verbeke. Théâtre municipal, à 21 h 30 jusqu’au 24 juillet. Tél. : 04-90-14-14-14. Durée : 3 heures. En néerlandais surtitré.