Comment soutenir les agriculteurs ?

Comment soutenir les agriculteurs ?

Introduction

« L’agriculture est un élément essentiel de l’existence humaine », souligne Sébastien Roumegous, spécialiste en régénération des sols. Cependant, elle est confrontée à de nombreux défis. Tout d’abord, un modèle épuisé hérité de l’après-guerre qui nécessite d’être réinventé. Ensuite, le réchauffement climatique qui impose des contraintes sur toutes les cultures en raison d’événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents. Il y a également la diminution de la biodiversité qui est pourtant bénéfique à de nombreuses cultures. Et enfin, l’évolution des mentalités des jeunes générations vis-à-vis du travail, de ses conditions et de sa finalité. Soutenir les agriculteurs est d’autant plus important que la pandémie, les sécheresses récentes et la guerre en Ukraine nous ont montré à quel point la sécurité alimentaire internationale est fragile, et qu’il serait raisonnable de relocaliser notre production alimentaire en France. Aujourd’hui, 400 000 agriculteurs font de cette mission leur vocation. Comment les soutenir concrètement au quotidien ?

Pourquoi est-il essentiel de soutenir activement les agriculteurs ?

Pour leur offrir la reconnaissance qu’ils méritent

Les métiers de l’agriculture sont loin d’être une sinécure. Pour Émilie Thouveray, éleveuse de chèvres à la Ferme des Cabrotins dans le Jura, ce sont des métiers passionnants. “Nous ne comptons pas nos heures. Depuis que nous avons repris la ferme il y a 3 ans, nous n’avons pas pris de vacances. C’est un mode de vie de qualité, mais aussi fait de sacrifices. Je vais sur les marchés plusieurs fois par semaine, les bêtes et le fromage ne peuvent pas attendre. Cela étant dit, c’est ce que nous aimons et nous travaillons avec joie.” Dans ce quotidien bien rempli, ce qui fait le plus plaisir à Émilie, en plus de s’occuper de ses bêtes dont elle connaît chacune par leur nom, ce sont les retours de ses clients. “Nous avons reçu des médailles d’or, des prix. À chaque marché, nous n’avons jamais assez de fromage. Nos clients nous disent qu’il est excellent. Nous élaborons des recettes spéciales pour les personnes intolérantes au lait de vache, par exemple de la raclette et de la fondue au lait de chèvre, disponibles toute l’année. Rien n’est plus gratifiant que de voir le bonheur que cette alternative procure.” Cela montre que consommer des aliments de qualité, en privilégiant les produits locaux et en exprimant notre satisfaction aux producteurs, fait une réelle différence.

Pour valoriser le métier et confirmer la demande

En France, environ 400 000 personnes se consacrent à la terre et à l’élevage. Si ce métier ne parvient pas à convaincre les jeunes générations, ce chiffre diminuera de moitié d’ici 2030. En effet, selon l’Insee, en 2019, 55% des agriculteurs avaient plus de 50 ans et 13% plus de 60 ans. Avec une retraite entre 62 et 67 ans, près de la moitié des agriculteurs actuels cesseront leur activité avant 2030. Pourtant, la demande de produits locaux, de saison et de qualité est bien présente, et de plus en plus de nouveaux agriculteurs souhaitent s’installer. On les appelle souvent les “néo-paysans” car ils se reconvertissent dans ce secteur.

Comment comprendre les problématiques liées à l’agriculture et le quotidien des agriculteurs ?

La fresque agri-alim

Avant toute chose, il est essentiel de se renseigner pour comprendre à quel point les enjeux de l’agriculture sont systémiques et pour mieux comprendre les défis auxquels les agriculteurs sont confrontés. La Fresque du Climat est un jeu de cartes et de discussion inventé par Cédric Grindenbach, ancien directeur général de Carbone 4, en 2019. Il permet de placer une série de cartes liées au climat dans un ordre logique, en montrant les liens de cause à effet, afin de comprendre les découvertes du GIEC. Cet atelier participatif a donné naissance à d’autres initiatives, comme la fresque Agri-Alim, qui explique les enjeux de l’agriculture et de la résilience alimentaire. Vous pouvez suivre cette fresque en ligne ou dans votre ville. Le prix libre permet à tous les budgets de participer et de comprendre. Si vous souhaitez devenir animateur vous-même, la porte est ouverte. Lancez-vous !

Quelques ressources sur les enjeux agricoles

Si vous souhaitez approfondir vos connaissances, nous vous recommandons ces quelques livres :

  • Qui nourrit réellement l’humanité ? de Vandana Shiva
  • Régénérer de Daniel Baertschi, Ananda Fitzsimmons et Patrick Love
  • Les agriculteurs ont la terre entre leurs mains de Paul Luu
  • L’Humanité en péril de Fred Vargas

Ces podcasts :

  • La clé des champs
  • Le champs des possibles
  • Les clés de l’agro-écologie
  • Les mains dans la terre
  • Bons plants
  • Plant B

Ces documentaires :

  • La guerre des graines
  • En quête de sens

Cette liste n’est pas exhaustive, mais elle constitue un bon point de départ.

Comment soutenir les agriculteurs ?

Payer le prix juste pour les produits, en achetant directement

Dans une société où la part du budget consacrée à l’alimentation a diminué de 43% depuis 1960 (passant de 35% à 20%), choisir de payer le prix juste directement aux producteurs est un acte quasi-militant. Les grandes surfaces rémunèrent les agriculteurs de manière insuffisante, car elles cherchent à rester compétitives tout en réalisant des marges. Elles rognent donc sur le prix des produits pour couvrir leurs frais (locaux, employés, électricité, publicité…), ce qui pénalise directement les agriculteurs. Acheter directement à la ferme, sur les marchés, par le biais d’une AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) ou dans une boutique tenue par des agriculteurs est donc un moyen très efficace de soutenir les agriculteurs. Les professionnels que vous rencontrerez sont honnêtes : s’ils pratiquent les prix affichés, c’est qu’ils leur permettent de maintenir leur exploitation.

On entend souvent dire que l’alimentation est trop chère et qu’elle augmente constamment. Pourtant, sa part dans nos budgets est sous-évaluée. Alors que le budget moyen des Français a été multiplié par 4 depuis 1960, la part consacrée à l’alimentation a été divisée par 43%. Les produits issus de l’agriculture non biologique sont généralement moins chers (quoique… les acheter en grande surface revient cher en termes de marges cachées !), mais ils posent de réelles questions sanitaires et éthiques. Peut-être que l’un des moyens de réduire le coût de votre panier est d’acheter directement aux producteurs, de privilégier le bio ou l’agriculture raisonnée lorsque cela est possible, et d’augmenter la part végétale de votre alimentation. Cela est bon pour votre santé et pour la planète, surtout lorsque l’on connaît l’impact de la viande, du poisson et des produits laitiers sur l’environnement.

Faciliter l’installation de fermes dans votre région

De nombreuses personnes financent leur installation grâce au financement participatif, par exemple sur la plateforme Miimosa. Elles recherchent des fonds pour lancer leur exploitation agricole auprès des citoyens. Vous pouvez soutenir des projets qui vous intéressent et recevoir en contrepartie des paniers de légumes, des pré-commandes de viande ou de fromage, etc. Cela permet aux exploitants d’obtenir les fonds nécessaires pour démarrer leur activité et ainsi proposer de bons produits près de chez vous. C’est une situation gagnant-gagnant pour tous. Vous pouvez soutenir ces initiatives sur des plateformes telles que Miimosa, Blue Bees, AgriLend, ou via des sociétés de foncières solidaires comme Fermes en vie.

Consommer des produits locaux et de saison

Moins il y a d’intermédiaires, plus les agriculteurs sont rémunérés correctement. Voici donc quelques pistes pour vous approvisionner au plus près, de manière simple et économique :

  • Fréquenter les marchés locaux (souvent organisés plusieurs jours par semaine)
  • Vous inscrire à une AMAP pour recevoir un panier de légumes locaux
  • Commander en ligne des fruits et légumes de saison directement auprès d’un agriculteur via des plates-formes comme Crowdfarming (ce qui vous permet également de soutenir des agriculteurs européens et de choisir le pays d’origine)
  • Faire vos courses dans des boutiques engagées comme la Biocoop, Naturalia, la Récolte, Myiam ou les épiceries indépendantes de quartier
  • Commander en ligne sur des sites qui démocratisent l’accès au bio et au zéro déchet, tels qu’Omie, Greenweez, la Fourche et l’Intendance.

Si vous le faites régulièrement, vous soutenez de manière très efficace l’installation d’agriculteurs et vous contribuez à pérenniser leur activité.

Valoriser les pratiques agricoles vertueuses

L’agriculture régénérative permet de restaurer et d’améliorer des sols souvent très abîmés. L’agriculture biologique et la biodynamie protègent des écosystèmes entiers (notamment les insectes, indispensables à la pollinisation de nombreuses plantes) afin de créer des synergies entre plantes, champignons, insectes et animaux. En tant que consommateur, vous avez la responsabilité et le pouvoir de valoriser ces modes d’agriculture, et de boycotter activement les autres pour faire évoluer les pratiques. Certains labels, comme le Planet Score, précisent le type d’élevage, le taux de pesticides présents dans le produit et le mode d’agriculture, ce qui facilite l’accès à l’information. Encore faut-il y prêter attention !

Découvrir, expérimenter, s’installer ?

Si vos recherches vous passionnent et que vous souhaitez tester le terrain, plusieurs options s’offrent à vous. Sur des sites tels que Wecando, Bienvenue à la ferme ou Oh la vache, vous pouvez passer un moment à la ferme. Grâce au wwoofing, vous avez la possibilité de mettre les mains dans la terre pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. À partir de là, pourquoi ne pas créer votre propre projet d’installation sur mesure ?

Soutenir en faisant preuve de nuance et de tolérance

Comme nous l’avons vu, certaines pratiques agricoles sont plus vertueuses que d’autres et méritent d’être soutenues. Cependant, la transition agricole ne pourra se faire que grâce à la collaboration et à l’unité. Sébastien Roumegous, qui conseille les agriculteurs pour régénérer leurs sols depuis 15 ans, nous met en garde sur l’importance de faire preuve de modération. “Je vous invite à vous renseigner et à apporter de la nuance. Essayons d’avancer ensemble vers une nouvelle agriculture. Le consommateur joue un rôle clé : documentez-vous, choisissez des aliments biologiques, raisonnés et locaux. Cela poussera les acteurs de la chaîne alimentaire à s’adapter à nos souhaits… J’espère que nous éviterons tous de créer des clivages et des guerres idéologiques ; nous avons besoin de tout le monde pour avancer.”