Créer, intensément, avec la mort en face

Créer, intensément, avec la mort en face

Les dernières années des artistes qui connaissent leur fin approchante : voici le sujet de l’exposition Deadline. Elle rassemble douze artistes récemment disparus. La cause et l’âge de leur mort diffèrent : vieillesse pour Hartung et De Kooning, cancer pour Joan Mitchell et James Lee Byars, sclérose pour Jörg Immendorff, sida pour Absalon, Felix Gonzalez-Torres et Robert Mapplethorpe. Leurs travaux se situent à la fin de leur carrière artistique ou dans ce qui aurait dû être leur période la plus productive – voire même au début, puisque Absalon meurt à l’âge de 29 ans. Les formes d’expression et les références artistiques sont également variées : une centaine de peintures, de photos, d’installations et de sculptures…

On aurait pu penser que l’exposition Deadline serait disparate et morbide, avec une unité seulement basée sur un sentiment constant de tragédie. Mais c’est tout le contraire : il y a très peu de pathos, mais tous les artistes sont attachés à la création, avec un amour d’une intensité folle. Jusqu’au dernier moment, rien n’est plus urgent que de peindre un dernier tableau ou de prendre une dernière photographie. Cette passion commune, cette unité psychologique donne à l’exposition sa cohérence, au-delà des singularités de chaque artiste.

Bien qu’ils sachent qu’ils vont mourir bientôt, aucun d’entre eux ne se laisse aller à la déploration, et les références à leur maladie sont rares. Il n’y a qu’une seule vanité : un crâne photographié en contre-jour par Mapplethorpe, mais ses dernières images exaltent principalement la statuaire néoclassique. Seul Chen Zhen, à travers ses installations et sa collection d’instruments chirurgicaux, montre la douleur physique. Lorsqu’il recouvre un prie-dieu et une baignoire pour bébé de bougies blanches et noires, ou lorsqu’il fait souffler des formes organiques en cristal et les dispose comme les montagnes et les forêts d’un paysage chinois, il crée des monuments dédiés à sa disparition. Leur éloquence est puissante, mais elle fait ici figure d’exception.

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Gonzalez Torres photographie des vautours, mais ils sont si haut dans le ciel qu’ils sont à peine visibles. Gilles Aillaud peint des vols d’oiseaux marins, mais le symbole importe moins que les lumières du ciel atlantique.

En finir dans la splendeur

Au lieu de se tourner vers les cérémonies de deuil, les artistes préfèrent exalter leurs forces créatrices. Martin Kippenberger, par exemple, s’empare du Radeau de la Méduse de Géricault quelques mois avant de succomber à un cancer du foie en 1997. Lorsqu’il prend la pose de plusieurs des naufragés et des morts, l’allusion est claire. Cependant, les variations qu’il peint et dessine démontrent encore et toujours son inventivité plastique et le plaisir qu’il éprouve à mélanger les styles et les images. Il oublie qu’il peint sa propre mort, emporté par la frénésie de continuer à créer.

Joan Mitchell, elle aussi, se bat jusqu’à la fin avec les arbres de Vétheuil, la mémoire de Monet et la question de la symétrie des gestes lors de l’exécution d’un diptyque. Les bleus et les jaunes éclatent de toutes parts – et c’est une observation étrange qui s’impose : chez Mitchell comme chez les De Kooning ondulants et chatoyants, ou encore chez les superbes Hartung rose et vert, la couleur atteint son paroxysme. Pas question que la toile porte le deuil, que les ombres et le noir l’envahissent.

James Lee Byars se construit un mausolée tapissé d’or, une chambre baignée d’une lumière éblouissante. Le cancer – encore une fois – qui le ronge, Hannah Villiger le cache presque entièrement lorsqu’elle se photographie, son corps disparaissant dans les plis de vêtements rouges et bleus dans lesquels elle se blottit. On dirait qu’elle veut littéralement ne faire plus qu’un avec la couleur.

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On se souvient alors des gouaches découpées de Matisse octogénaire, des derniers Picasso tatoués et striés des couleurs les plus vives, des orangés et des pourpres de Bonnard. Puisqu’il faut finir, autant le faire dans la splendeur.

“Deadline”, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président-Wilson, Paris-16e. Tél. : 01-53-67-40-00. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 18 heures, le jeudi jusqu’à 22 heures. Entrée : 9 €. Jusqu’au 10 janvier. Catalogue, édition Paris Musées, 202 p., 34 €.