“Dans la brume électrique”: Deux films de Tavernier, un conflit

“Dans la brume électrique”: Deux films de Tavernier, un conflit

L’inspecteur Dave Robicheaux, joué par Tommy Lee Jones, est assis dans un bar et se présente comme un alcoolique. “Parfois, j’ai envie de boire un verre. Mais je résiste toujours à la tentation.” C’est ainsi que débute “Dans la brume électrique”, le film de Bertrand Tavernier dans sa version américaine.

La version française, qui sort dans les salles le mercredi 15 avril, commence différemment. Un long travelling sur les bayous de Louisiane, enveloppés de brume, accompagne la voix off de l’enquêteur : “Dans les temps anciens, les gens mettaient des pierres sur la tête des mourants…” Ce monologue se poursuit lors de la découverte d’un cadavre et évoque le rêve d’une louve au sommet d’un arbre mangeant ses petits, ainsi que la disparition des chauves-souris de la région, “bouffées par les moustiques”. Une autre scène illustre cette différence artistique, lorsque l’on découvre un camp de confédérés : dans la version française, la scène est directe, avec des bruits de crapauds-buffles et de la musique, tandis que dans la version américaine, les soldats sont bruités avec des cris et une scie.

Ce film présente donc une double personnalité. Après le tournage au printemps 2007, le réalisateur et son producteur américain, Michael Fitzgerald, se sont affrontés. Finalement, ils se sont mis d’accord fin 2008 : deux versions du film seront réalisées. La version américaine ne sortira pas en salles (hormis en Louisiane), mais sera diffusée en DVD sous le titre “In the Electric Mist”. Le montage a été effectué par Roberto Silvi sous le contrôle de Michael Fitzgerald. L’autre version, celle que Tavernier souhaitait, a été projetée pour la première fois en février, lors du Festival de Berlin.

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Michael Fitzgerald explique pourquoi “In the Electric Mist” n’est pas sorti en salles aux États-Unis : “Ici, si un film n’a pas été financé au préalable par un studio ou un distributeur, c’est le distributeur qui l’a acheté qui touche toutes les recettes. Pourquoi aucun distributeur n’a voulu le financer ? Peut-être parce qu’ils ne connaissaient pas le réalisateur et que rien dans sa carrière ne pouvait leur indiquer qu’il était capable de réussir un film de cette envergure !” Il ajoute que le DVD connaît un succès (quatrième au classement des ventes aux États-Unis).

Les mésaventures de Tavernier aux États-Unis sont paradoxales, car il est amoureux de ce pays et de son cinéma. C’est lui qui a initié le projet de “Dans la brume électrique” et qui a jugé nécessaire de trouver un producteur américain pour ce film adapté du roman de James Lee Burke. Associé à TF1 International, Fitzgerald a proposé deux scénaristes. Les divergences entre Tavernier et ses partenaires américains lors de l’écriture et du tournage du film ont abouti aux deux versions – 102 minutes pour la version américaine et 117 minutes pour la version française.

Le film qui sortira en France est rythmé par une voix off qui lui confère une atmosphère plus sombre. Tavernier y tenait, tout comme à cet éclatement temporel qui fait surgir constamment des souvenirs dans le récit. Les Américains, quant à eux, préfèrent des plans plus classiques, tels qu’une vue extérieure du bureau du shérif ou une arrivée de voiture.

Pourtant, l’auteur du roman, James Lee Burke, a participé au scénario et a contribué, en accord avec Tavernier, à s’éloigner des clichés du film noir. Malgré cela, Tavernier a dû faire face à de nombreuses divergences durant un tournage tendu, où il était sous surveillance. On lui a reproché de ne pas filmer suffisamment de plans explicatifs, on lui a demandé des inserts pour rendre une bagarre plus compréhensible, on a critiqué son choix de filmer certaines scènes en un seul plan.

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La tension a atteint son paroxysme lors du montage. Tavernier a contesté le travail de Roberto Silvi qu’il a trouvé monotone – “Je m’ennuyais avec lui” – et il est revenu en France pour terminer le film selon sa propre vision. Seul : tant que le différend juridique n’était pas réglé, il lui était interdit de contacter le compositeur de la musique, Marco Beltrami. Il a dû engager le monteur Thierry Derocles et augmenter considérablement le budget, s’endettant de 400 000 euros. TF1 n’a contribué qu’à hauteur de 10 % sur les ventes aux télévisions.

Est-ce que la version de “Dans la brume électrique” revendiquée par Tavernier est trop longue, trop littéraire pour le public américain ? Ce n’est pas l’avis de Dave Kehr, critique au New York Times, qui déplore de ne pas retrouver la patte du réalisateur dans la version américaine, “ni son intimité vibrante, ni son sens de l’espace, ni sa profondeur morale. La version qui nous est imposée est dépourvue de tout ce qui aurait pu rendre le film vivant”.