Découverte des banlieues : Autour du fort d’Aubervilliers

Suburbs. Autour du fort d’Aubervilliers. Épisode 1

Depuis longtemps, je m’adonne à une curieuse activité : je fais le tour du fort d’Aubervilliers. Armé de mon avatar orange sur Google Street View, je parcours les rues qui entourent le fort. Mais juste au moment où je m’apprête à pénétrer dans ce lieu mystérieux, le trait bleu qui représente le trajet de la Google Car disparaît. Comment faire si même Google n’a pas pu y aller ? Je me rabats alors sur la vue satellite et je suis étonné de voir cette étoile si bien dessinée depuis le ciel, alors que lorsque l’on en fait le tour à pied, on ne voit que des lignes rectangulaires désespérément.

Géoportail, le concurrent français de Google Maps, propose une vue de Paris à une échelle très précise, quatre fois plus précise que pour le reste de la France. Cependant, cette vue s’arrête juste en bas du fort, dans la zone sans intérêt où se trouvent les cinq tours de logements de gendarmes. Alors, je zoome, je zoome, mais les casses de voitures, les baraquements et les chemins secrets au milieu du bois deviennent de plus en plus pixellisés, illisibles.

Carte de 1900

Au début, j’ai cru que le fort d’Aubervilliers était un château fort, mais en réalité, c’était juste un fort parmi les seize construits entre 1840 et 1845 pour défendre Paris. Il n’y avait pas vraiment de bâtiment central, juste une série de baraquements dont la plupart sont encore debout. J’ai réalisé cela lorsque les gendarmes ont ouvert leurs portes lors des Journées du Patrimoine en septembre 2010. Il aura fallu une longue marche à travers la partie “gendarmerie” pour arriver à l’entrée du fort proprement dit : muraille, grande porte, premiers baraquements.

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Septembre 2010… Cela fait un an que j’ai ce projet d’écrire sur le fort. Mais au moment de commencer, je me retrouve face à un trou noir. Par où commencer ?

Je décide donc de cadrer mon sujet de manière chronologique, géographique et thématique. Je vais procéder par élimination : je ne parlerai pas des Quatre-Routes à La Courneuve ni du cimetière parisien de Pantin-Bobigny dans cet article. En revanche, je souhaite explorer des lieux qui, bien que géographiquement plus éloignés, me semblent plus significatifs. Les Courtillières, l’un des premiers “grands ensembles” en Île-de-France, attenant au glacis nord du fort, où se trouvent les jardins ouvriers. Ensuite, l’immense imprimerie de l’Illustration, reliée par train au fort, en cours de transformation en IUT. Et enfin, la petite gare de Bobigny, d’où sont partis plus de vingt mille Juifs français vers Auschwitz.

Comme souvent lorsqu’un sujet m’inspire, j’ai l’impression que toute l’histoire du monde se concentre devant moi, prête à être racontée. Par exemple, j’ai découvert que l’hôpital Avicennes avait été construit sur les ruines d’un village d’artisans datant de l’âge de fer. Mais après de longues lectures dans des revues d’archéologie, je me rends compte que cela ne mène nulle part.

Carte postale, années 1920

Alors, je reviens au fort, relisant certains documents. C’est à ce moment-là que je découvre une vieille carte postale achetée en ligne, représentant le fort au début du XXe siècle. À l’arrière de la carte, il y a quelques mots écrits par l’expéditeur : Maurice Pavy. Et si Maurice Pavy était le personnage principal du roman historique sur l’entre-deux guerres que j’ai en projet depuis si longtemps ? Il témoigne de son temps : “Cher copain, j’ai bien reçu ta carte en me disant que tu étais en bonne santé. Il en est de même pour moi. À l’armurerie, c’est le filon mais faut travailler. Pour les permissions, tous les dimanches. Vivement les beaux jours pour la noce. J’espère que tu seras en permission, tu viendras et on trinquera ensemble. Plus rien à te dire. Un copain qui te serre la main de loin. Maurice Pavy.”

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Maurice Pavy effectue son service militaire à l’automne 1923 au fort d’Aubervilliers, dans le service des munitions, en même temps que Frédéric Joliot. Ce dernier, tout juste diplômé de l’École de physique et chimie industrielle de la ville de Paris, travaillera ensuite aux côtés de Marie Curie sur la radioactivité. Ils y laisseront leur santé, exposés à la radioactivité. Entre-temps, ils recevront le prix Nobel en 1935.

Frédéric Joliot-Curie et Irène Joliot-Curie ont travaillé sur la radioactivité au fort d’Aubervilliers dans les années 1920 et 1930, d’après plusieurs sources concordantes. Mais que s’est-il réellement passé dans ce fort ? Est-il radioactif ? Rachid Khimoune, un sculpteur qui occupe un atelier sur le site, se souvient d’un article de 1994 qui parlait des secrets du fort d’Aubervilliers. Il m’explique qu’à l’époque, le lieu était un véritable “no man’s land” où l’on pouvait trouver toutes sortes de déchets. Mais il reste évasif sur la question de la radioactivité.

Mon voyage au fort d’Aubervilliers se poursuit. Je rencontre Rachid Khimoune dans son atelier, recouvert de plaques d’égout moulées en polymère. Il me raconte comment il est arrivé ici il y a plus de vingt ans et comment il a transformé ce “no man’s land” en un lieu d’art et de création. Mais à ma grande déception, je ne trouve pas de réponse à ma question sur la radioactivité.

Et maintenant, il est temps pour moi de continuer mon exploration du fort d’Aubervilliers. Quelle sera ma prochaine découverte ?