Le film mystérieux et dérangeant de Sergei Loznitsa, “Austerlitz”, est une plongée troublante dans le tourisme des camps de la mort nazis en Allemagne. Inspiré du roman de WG Sebald, le réalisateur utilise le titre “Austerlitz” pour créer une confusion entre les mots “Auschwitz” et “Austerlitz”. Une manière subtile de rappeler comment les horreurs du passé se fondent peu à peu dans l’histoire.
Dans ce documentaire, Loznitsa installe des caméras fixes dans les camps de Dachau et Sachsenhausen, où les touristes affluent en grand nombre en raison de leur proximité avec des grandes villes. On observe alors le va-et-vient de milliers de visiteurs qui se promènent, discutent, baillent, écoutent les guides audio et se prennent en selfie. Certains font cela à côté de la célèbre inscription “Arbeit Macht Frei”. Leur comportement est-il irrespectueux ou simplement normal ? Comment devraient-ils se comporter ? Si nous commençons à contrôler leurs actions, n’est-ce pas une forme de restriction ou de censure ?
Le plus étonnant, c’est de voir les slogans inscrits sur les t-shirts des visiteurs : “Cool Story Bro”, “Fucking Fuck Happens”, “La vie était plus simple quand les pommes et les mûres étaient simplement des fruits”, “Pas de stress, pas de progrès”. Ces messages interpellent et soulèvent des questions sur la manière dont nous formulons des idées universellement acceptées sur le sacrilège dans des lieux où la religion n’a pas d’application officielle. Si nous estimons que la signification de “Arbeit Macht Frei” est profanée, cela signifie-t-il que nous créons une mystique historique fallacieuse, qui pourrait laisser croire que le fascisme est passé et que le danger est derrière nous ?
Le film soulève également des interrogations sur la façon dont nous préservons la mémoire et la vérité. Loznitsa montre que visiter ces sites n’est ni inutile ni mal intentionné. C’est une manifestation de la curiosité humaine, bien plus appréciable que l’indifférence ou l’oubli. Cependant, cela nécessite un débat sur la forme que doivent prendre ces mémoriaux.
“Austerlitz” n’est pas exempt de défauts, comme tous les films sur l’Holocauste. Il est impossible de saisir toute la vérité. Le silence dans lequel se déroule le documentaire peut parfois frustrer, car personne n’est interrogé sur ses pensées. Néanmoins, le film nous pousse à réfléchir sur la mémoire et la vérité, qui ne peuvent être préservées comme on le ferait avec du vin ou des livres, mais qui doivent être entretenues comme des habitudes de pensée. Surtout à une époque où le “post-truth” se répand insidieusement.
En somme, “Austerlitz” est une œuvre qui nous invite à remettre en question et à repenser notre rapport au passé et à la mémoire.