Découvrez le Struthof, un camp de concentration méconnu en France

Découvrez le Struthof, un camp de concentration méconnu en France

Il fait un froid glacial en ce 11 janvier 2023 au Struthof. Une pluie glacée et des rafales de vent se font sentir. Mais cela n’est rien comparé aux moins 20 degrés enregistrés par les nazis lors des hivers 1942 et 1943.

L’Alsace est alors sous le joug allemand. La région est annexée en juin 1940 par le régime nazi après la défaite française. Au Struthof, cette petite station de montagne qui proposait autrefois des “cures d’air pur” et des sports d’hiver, cède la place à un camp de concentration en novembre 1941, à une cinquantaine de kilomètres de Strasbourg. Les nazis ont même aménagé une chambre à gaz en 1943 dans l’ancienne salle des fêtes.

Quelques “Blocks” ou baraques demeurent aujourd’hui du camp, des bâtiments sombres en bois entourés par la forêt et surplombant la vallée de la Bruche, entre brouillard et nuages, à une altitude de 700 mètres.

On remarque également la cheminée du four crématoire, la potence où les pendus étaient exhibés au regard de tous, les espaces vides des anciennes baraques-dortoirs toujours marqués au sol, la double rangée de barbelés et les miradors équipés de projecteurs. Dominant cet ensemble, rénové sous l’égide des Monuments historiques, la flamme en pierre blanche, une monumentale sculpture hommage de 1960 aux victimes de la déportation nazie.

Plusieurs dizaines de milliers de déportés et de prisonniers ont vécu ici, déshumanisés, réduits à des numéros, contraints au travail forcé, devenant des esclaves au profit du Troisième Reich.

Les arrivées incessantes de déportés au Struthof

Entassés dans des trains venant de toute l’Europe, les déportés arrivent en camion par la route, le plus souvent à pied, sur un chemin caillouteux et pentu, sitôt débarqués de la gare ferroviaire du petit village de Rothau, en contrebas.

Il est important de souligner que pour les nazis, il ne s’agit pas d’individus arrivant, mais bien d’un “Zugang”, un arrivage. Les mots nazis ont toute leur importance, insiste l’historien Robert Steegmann, qui a consacré plus de 30 ans de recherche au camp du Struthof. Battus par les SS, dépouillés de leurs biens et de leurs vêtements, rasés de la tête aux pieds, humiliés, passés sous des jets de produits désinfectants, ils n’étaient plus que des “Stück” – des morceaux, en allemand – à l’entrée du Block, à l’emplacement qui leur était assigné, une heure ou deux à peine après leur arrivée.

Environ 30 000 personnes sont ainsi arrivées au camp principal du Struthof, situé sur la commune de Natzwiller, entre novembre 1941 et août 1944. Au total, ils sont 52 000, si l’on inclut les camps annexes établis des deux côtés du Rhin, les Kommandos, pas moins de 70. Les arrivées et les départs sont incessants, quasi quotidiens et sans logique entre le Struthof, Dachau et d’autres camps, souligne Robert Steegmann.

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Des détenus politiques, mais pas seulement

Parmi les hommes qui franchissent le portail du KL Natzweiler-Struthof (NDLR : “KL” pour Konzentrationslager, camp de concentration, en allemand ; Natzweiler, germanisation de Natzwiller), se trouvent des déportés raciaux, juifs et tziganes, mais aussi des homosexuels et des témoins de Jehovah classés comme asociaux, affublés du triangle rose ou noir, selon leurs catégories respectives, cousus bien en évidence sur leurs vêtements rayés.

Cependant, il est important de noter que pour l’essentiel, il s’agit de prisonniers de droit commun et de détenus politiques, résistants et opposants au régime nazi. Pour ces opposants, le triangle est rouge, rappelle Michael Landolt, qui raconte l’histoire de Fernand Traver, le père de son grand-père, “un Mosellan né en 1906 qui faisait passer la frontière entre l’Allemagne et la France occupée à des personnes recherchées par les nazis, des Alsaciens qui ne voulaient pas intégrer la Wehrmacht ou rester dans les rangs de l’armée du Troisième Reich”. Fernand Traver, détenu au Struthof, a été dénoncé par un agent double payé par les Allemands.

Les Français ne représentent que 14% des détenus du Struthof contre 35% de Polonais, suivis des Soviétiques, Russes et Ukrainiens, parmi lesquels de nombreux prisonniers de guerre. Pour le régime nazi, ce sont des “communistes”, et donc des ennemis. L’Union soviétique était alors du côté des Alliés. Ainsi, des prisonniers soviétiques sont venus grossir les rangs des détenus du Struthof, qui est considéré comme l’un des camps les plus durs du système concentrationnaire nazi, affirme Robert Steegmann.

Les NN, résistants “Nuit et brouillard”

Les résistants NN (Nacht und Nebel en allemand, la nuit et le brouillard en français) sont traités particulièrement durement, explique l’historien. À partir du moment où ils entrent dans un camp, personne ne doit savoir où ils se trouvent. Ils ne peuvent communiquer avec personne et n’ont pas le droit de sortir, même pour travailler. Ils entrent ainsi dans la nuit et le brouillard, d’où l’expression. On compte environ 2500 personnes de cette catégorie au Struthof, venant de toute l’Europe, notamment de Belgique, des Pays-Bas, ainsi que plusieurs convois de Norvégiens et de Français arrivés en 1943.

Henri Gayot et sa vision de la vie au Struthof

Les résistants NN sont marqués dans le dos, témoigne Henri Gayot, un Français, professeur des Beaux-Arts et résistant, passé par le Struthof. Il dessine en secret ce que signifie survivre dans de telles conditions.

La faim est obsessionnelle, l’appel a lieu deux fois par jour. Les chiens sont agressifs, mieux nourris que les hommes. La violence est perpétuelle. L’épuisement et la fatigue du travail forcé entraînent une forte mortalité. Des expériences médicales ont lieu dans l’infirmerie, équipée d’une sinistre table à dissection. Une prison existe également dans la prison, ainsi qu’un gibet pour ceux qui tentent de s’évader. Les exécutions par balle, notamment de résistants, de maquisards ou d’agents de renseignements arrêtés à l’extérieur du camp par la Gestapo, sont brûlés dans le four crématoire. Ils sont particulièrement nombreux à l’été 1944.

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La nervosité grandit au sein du commandement du Struthof. Les troupes américaines ont débarqué en juin 1944 en Normandie et avancent. En septembre 1944, 6000 détenus sont évacués en urgence vers Dachau. Le camp de concentration du Struthof est découvert en premier par les Alliés, mais lorsqu’ils poussent le portail en novembre, le camp principal est vide. Les camps annexes du Struthof continuent de fonctionner jusqu’en 1945. Henri Gayot et Fernand Traver survivront.

August Hirt et la collection de squelettes “judéo-bolcheviques”

Le Struthof n’est pas un camp d’extermination comme Auschwitz-Birkenau, le plus meurtrier des camps nazis en Pologne, qui a fait plus d’un million de morts sur une quarantaine de sites. Cependant, des déportés d’Auschwitz-Birkenau ont été assassinés au Struthof.

Cela se passe dans une chambre à gaz de 20m3 aménagée en 1943 dans l’ancienne salle des fêtes de la station de villégiature. Cette chambre a été spécialement conçue pour le meurtre programmé de juifs sélectionnés à Auschwitz-Birkenau. La demande émane de l’anatomiste August Hirt, un médecin de l’université nazie de Strasbourg. August Hirt n’a pas agi seul, il a convaincu Heinrich Himmler, le chef des SS, de la nécessité de constituer une collection de crânes et de squelettes “judéo-bolcheviques”.

Ce projet a donné lieu à une importante correspondance entre responsables nazis, comme en témoignent des lettres authentifiées exposées au CERD, le Centre européen du résistant déporté, à proximité du camp. L’objectif était de conserver des traces de ceux que les nazis allaient éliminer en Europe, à savoir les Juifs, explique Robert Steegmann.

Josef Kramer, le bourreau du Struthof et d’Auschwitz-Birkenau

87 juifs arrivent d’Auschwitz-Birkenau à l’été 1943. Le commandant du Struthof prend en main cette affaire. Josef Kramer, âgé de 37 ans, est un nazi très estimé et promu. Comptable de profession, il est un exécutant parfait, mais aussi une brute, selon les détenus et de nombreux collègues. Lorsque qu’un homme juif se révolte à l’entrée de la chambre à gaz, il est abattu.

En 1945, à Bergen-Belsen, où il a demandé sa mutation, Kramer racontera aux juges instructeurs, après son arrestation, comment il a introduit les sels cyanhydriques que lui a remis le professeur Hirt dans un entonnoir et comment, depuis la petite fenêtre extérieure, il a regardé les femmes s’effondrer “au bout d’une demi-minute”, après la propagation des gaz mortels. Kramer dit n’avoir ressenti “aucune émotion”, selon sa déposition. Il répète l’opération à quatre reprises dans les jours qui suivent. Au total, 86 personnes, femmes et hommes, sont ainsi gazées puis convoyées à l’université nazie de Strasbourg jusqu’à Hirt. “Aucune émotion. Tout Kramer est là. C’était l’homme qu’il fallait aux nazis. À Birkenau, 500 000 juifs l’attendaient”, poursuit Robert Steegmann.

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Jugé par un tribunal militaire en septembre 1945 près du camp de Bergen-Belsen libéré par l’armée britannique, Kramer est pendu en décembre de la même année. August Hirt s’est suicidé en juin 1945.

Des fouilles archéologiques dans d’anciennes carrières

Au Struthof, les étés chauds succèdent aux hivers glaciaux de 1942 à 1944. Les déportés et les prisonniers enchaînent les travaux de voirie et la construction des camps annexes, quand ils ne sont pas occupés dans la carrière de granit située à 500 mètres du camp de base.

La découverte du gisement de granit rose près de Natzwiller en 1940, en plus de la proximité de la gare de Rothau, a été décisive dans le choix du régime nazi d’installer le camp de concentration au Struthof.

Cette carrière fait partie des plans d’Albert Speer, l’architecte de Hitler devenu ministre des armements et de la production de guerre, qui prévoyait d’utiliser la main-d’œuvre pour réaliser de grandes constructions en Allemagne. Cependant, il n’y a aucun exemple précis de monument en Allemagne permettant de dire que c’est du granit de Natzwiller produit par les déportés du camp, affirme l’archéologue Juliette Brangé, responsable du chantier de fouilles du Struthof.

Les détenus ont également été exploités par l’entreprise allemande Junckers, chargés de la désossage des moteurs d’avions pour recycler le métal. La découverte d’une plaque en aluminium portant le logo de la firme en est la preuve, note l’archéologue. Les déportés utilisaient les pièces pour en fabriquer de nouvelles.

Juliette Brangé espère apporter de nouvelles connaissances sur le camp de concentration du Struthof, une histoire qui présente encore des lacunes. Elle montre une clé en métal trouvée dans le dépôt de l’ancienne carrière cet été. Est-ce une clé bricolée par les déportés pour ouvrir une porte et préparer une évasion ? Ou s’agit-il d’une clé fabriquée plus tard par des personnes soupçonnées de collaboration avec les SS et emprisonnées au Struthof jusqu’en 1948 ? Il n’est pas certain qu’on puisse un jour répondre à cette question, dit-elle.

Collaboration, mémoire et transmission

La collaboration avec le régime nazi en Alsace concerne environ 10% de la population locale, selon des études récentes, affirme Robert Steegmann. Il rappelle que l’Alsace était rattachée au Reich pendant la Seconde Guerre mondiale et avait déjà été allemande entre 1870 et 1940. Cette histoire est douloureuse et difficile à porter et à démêler pour les Alsaciens, tiraillés entre la France et l’Allemagne.

Les tabous et les résistances à établir les faits en Alsace ont-ils été dépassés ? Oui, affirme Robert Steegmann, auteur d’une thèse de doctorat sur le Struthof. Cependant, il reste encore beaucoup de recherches à faire sur la population internée, les gardiens, leur psychologie, les liens avec la population civile, la façon dont les détenus ont vécu leur arrivée au camp et les transferts.

Il est essentiel de poursuivre les recherches historiques, car tout n’a pas encore été découvert. Un document est comme un morceau de papier, il ne donne aucune réponse si on ne lui pose pas de questions.