Et si nous réfléchissions deux fois avant de nous faire livrer n’importe quoi ?

Et si nous réfléchissions deux fois avant de nous faire livrer n’importe quoi ?

Magie du web, il est désormais possible d’acheter n’importe quelle babiole fabriquée à l’autre bout du monde en un simple clic. En quelques années seulement, l’e-commerce est devenu une véritable addiction : nous faisons des achats compulsifs allongés, le soir après le travail. La routine est bien connue : camion, livreur et carton que nous ouvrons comme un cadeau que nous nous offrons. Cependant, la livraison à domicile a des conséquences néfastes : elle pollue, congestionne la circulation et exploite les conditions de travail précaires des livreurs. Nous faisons face à une contradiction flagrante : sur la toile, nous, les consommateurs, nous sommes devenus tout-puissants face à nos désirs, mais nous semblons ne pas mesurer les véritables coûts de ce confort acquis. Il est grand temps de prendre en compte le célèbre conseil que Benjamin Parker a donné à son neveu, Spiderman : “Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”.

Un article publié à l’origine sur le Digital Society Forum.

L’e-commerce en pleine expansion

La livraison de biens de consommation aux particuliers ne date pas d’internet. La vente à distance était déjà populaire en 1929, lorsque La Redoute a lancé son célèbre catalogue. Cependant, cette pratique ne peut rivaliser avec la croissance fulgurante du commerce en ligne : 37,5 millions de français achètent sur internet et chaque année, 500 millions de colis sont livrés, selon la Fevad. On prévoit même un milliard pour 2025. Les enseignes ont bien compris cette transformation : Franprix livre en trente minutes avec Glovo, Leclerc avec Shopopop, Monoprix avec Amazon Prime, et Vente-privée propose un abonnement “livraison illimitée”. Dans un registre plus anecdotique, Le Bon Coin et Cdiscount s’intéressent également à ce domaine avec notamment la livraison en l’absence du client via une serrure connectée – une idée empruntée à Amazon qui, jusqu’à présent, préférait passer par le garage.

Les externalités négatives de la livraison

Revenons un instant sur les conséquences négatives de ces modes de consommation, notamment lorsque les acteurs concernés ne se soucient pas de l’éthique ou du respect de l’environnement. Commençons par l’écologie : un quart des émissions de CO2 générées en ville sont dues au transport de marchandises, soit un million de tonnes par an pour une ville de la taille de Paris, selon Jérôme Libeskind dans son ouvrage “Logistique urbaine” (Fyp éditions, 2015). En ce qui concerne le transport, les camionnettes se multiplient, se garent sur les trottoirs et roulent à vive allure – cela n’est pas surprenant lorsque l’on connaît les cadences imposées aux livreurs, du moins dans certaines entreprises concernées. L’un d’entre eux s’est d’ailleurs confié à Libération en ces termes : “Du jour au lendemain, je suis passé à 120, 150, 180 colis. Quand on protestait, ils nous disaient que ‘ceux qui ne sont pas contents, finiront au chômage’”. Dans ces deux situations, c’est le dernier kilomètre qui pollue et cause du stress. Et en ce qui concerne l’urbanisme, les entrepôts logistiques contribuent à l’étalement urbain, vident les centres-villes et remplacent progressivement les grandes surfaces, dans un jeu de chaises musicales où tout change pour que rien ne change.

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Les solutions à envisager

Heureusement, des solutions existent pour résoudre ces problèmes. Du côté des entreprises, des applications permettent d’optimiser considérablement les itinéraires, notamment par rapport à ceux qu’auraient choisis les clients. En ce qui concerne la régulation, il est question de taxes sur les livraisons à domicile, une idée soutenue par l’association des maires de France (AMF), mais rejetée par ceux qui estiment que les prix augmenteront pour le consommateur final. Du côté des livreurs, certains essaient timidement de se tourner vers les véhicules électriques, tandis que les plus innovants, comme Amazon, misent sur les robots pour assurer des livraisons propres et garanties, sans avoir à faire face aux syndicats. Cependant, nous ne savons pas encore si les voitures autonomes sauront gérer le rond-point de l’Étoile lors des manifestations, ni si les essaims de drones pourront résister aux grenades GLI-F4 des CRS. Pour ceux d’entre nous qui veulent bien réfléchir, il est recommandé de préférer le point-relais à la livraison à domicile, afin de mutualiser les commandes et éviter le cycle infernal des avis de passage en cas d’absence (autre solution : cadenasser le colis à la porte, il semblerait que cela se fasse). Le point-relais est une meilleure option, mais il faut également prendre en compte les coûts pour les magasins qui se lancent dans cette activité et qui doivent désormais assurer un double accueil, modifier leurs horaires et répondre aux sollicitations des clients souhaitant connaître l’état d’avancement de la livraison. Pour quelques centimes supplémentaires, il est donc essentiel de peser le pour et le contre. Une autre idée qui rencontre un vif succès est celle de Loop : une plateforme e-commerce qui livre les produits des grandes enseignes dans une démarche “zéro déchet” grâce à un système de consigne. Bien que cela constitue une petite avancée vers moins de gaspillage, cela ne change strictement rien aux impacts structurels de la livraison, et les produits livrés répondent toujours aux standards de la consommation de masse industrielle.

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Le rôle crucial du consommateur

Il ne faut pas oublier de se concentrer sur le client – c’est-à-dire vous et moi. Lorsque l’on observe seulement le secteur de la chaussure, plus de 8 millions de colis sont renvoyés chaque année dans des camions. En Angleterre, il est courant de commander plusieurs tailles pour ensuite renvoyer les paires qui ne conviennent pas. Une pratique vraiment brillante. Ne nous plaignons donc pas de la mauvaise qualité de l’air, des petits commerces qui ferment en centre-ville et de l’étalement urbain ensuite. Tous ces effets indirects ont d’ailleurs contribué à l’émergence du mouvement des Gilets jaunes, selon Le Monde. Ironiquement, ce mouvement social a encouragé encore plus de livraisons : 43% des Français ont préféré faire leurs achats de Noël en ligne, notamment parce qu’ils craignaient d’être “confrontés à des scènes de violence”, rapporte Le Figaro. En résumé, nous sommes pris dans une boucle sans fin.

Que faire face à ces enjeux ?

Comment répondre, par exemple, à la nouvelle concurrence de géants comme le chinois Alibaba, peu soucieux de l’éthique et de l’environnement ? La réponse réside-t-elle dans une évolution progressive des comportements des consommateurs-citoyens ? Comme toujours, la situation est complexe. Pour commencer, chaque nouvelle solution de distribution, même en circuit court lorsque cela est possible, risque de provoquer des effets rebonds et d’entraîner une augmentation de la consommation dans d’autres domaines. Convenons également que nous ne sommes pas tous égaux face à la livraison. Certains vivent en ville, d’autres à la campagne où il est parfois plus difficile de s’en passer (il est intéressant de remarquer que les adeptes de la livraison sont souvent ceux qui ont plus de moyens financiers et qui habitent en ville). Ensuite, changeons notre perception de cette pratique qui facilite notre vie : ce n’est jamais “Amazon” ou autre entreprise qui nous livre, mais un homme mal payé qui se gare en double file. Dans l’ensemble, nous devrions prendre conscience que la consommation éthique ne concerne pas seulement le produit lui-même, mais aussi les services qui l’accompagnent et son mode de transport ; les facilités de retour, par exemple, sont un désastre écologique. Les pouvoirs publics ne sont pas aveugles, mais il nous incombe également de remettre en question nos propres pratiques : est-il réellement nécessaire de bénéficier d’une livraison à domicile illimitée “en deux heures s’il vous plaît” pour un bien qui n’a rien de vital ? Si attendre signifie mutualiser les livraisons, ne serait-il pas plus responsable de patienter quelques jours de plus ? Toutes ces considérations ne sont pas toujours compatibles avec les promesses marketing des marques qui semblent vouloir privilégier l’immédiateté. Quel manque d’originalité. Rappelons-le, la livraison à domicile n’est pas un droit acquis et, dans les faits, elle est la plupart du temps un caprice. Si Spiderman devait reprendre la parole, il nous dirait sûrement que sur la toile : “Pour accomplir notre devoir, nous devons faire preuve de persévérance et renoncer à ce qui nous tient le plus à cœur…”

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