Être musulman ? Une question complexe qui suscite diverses réponses. Appréhender la réalité de l’islam nécessite un éclairage qui transcende les clichés. Cet article se propose d’explorer les traits communs aux musulmans, ces femmes et hommes, arabes, africains, indonésiens, vivant dans les banlieues marginalisées ou faisant partie de l’élite saoudienne.
Qu’est-ce que signifie être musulman ?
D’un point de vue objectif, être musulman consiste à reconnaître l’unicité de Dieu et la prophétie de Muḥammad. Ces deux piliers forment la profession de foi musulmane, appelée “la šahāda”. Prononcer cette déclaration en arabe devant des témoins confère à celui ou celle qui la prononce le statut de musulman.
En étant musulman, on se soumet entièrement à Dieu et à sa volonté, en s’inspirant des enseignements et de l’exemple du Prophète tels qu’ils sont décrits dans le Coran et la tradition. Cela implique de reconnaître la transcendance absolue de Dieu, bien au-delà de nos peines et de nos conceptions limitées. De même, cela implique de s’inspirer de la sagesse et de la miséricorde du Prophète, qui représente le sommet de la création et une bénédiction pour l’humanité.
Cependant, cette définition de l’islam soulève de nombreuses questions. Par exemple, on reproche souvent aux musulmans de ne pas excommunier les terroristes, arguant qu’ils ne sont pas de véritables musulmans. Or, si ces terroristes ont prononcé sincèrement la šahāda devant des témoins, ils sont bel et bien musulmans. Certes, ce sont des pécheurs, des méchants, des violents, des traîtres, des assassins, mais ils restent musulmans. Ils font partie de la communauté de ceux qui confessent qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que Muḥammad est son prophète.
Quelles sont alors les conditions pour exclure un membre de la communauté ?
Est-il seulement possible de le faire ? Cette question est depuis des siècles débattue par les théologiens et les spécialistes du droit musulman, sans parvenir à un consensus. Certains estiment que renoncer à certaines pratiques musulmanes (comme le jeûne, la prière, le voile, ou encore l’abstinence de l’alcool ou de la viande de porc) suffit à exclure un croyant de la communauté. D’autres pensent que cela nécessite un abandon public de ces pratiques, leur exposition devant tous. Certains considèrent même que certaines options théologiques peuvent suffire, comme le fait de croire que le Coran est une création de Dieu et non une partie intégrante de lui-même.
L’instrumentalisation de l’islam à des fins politiques mène-t-elle à une sortie de la religion ?
Est-ce que le meurtre d’innocents au nom de Dieu entraîne automatiquement l’excommunication ? Qui peut répondre à ces questions ? En l’absence d’une autorité morale, religieuse et juridique centrale, au moins dans le sunnisme, qui peut se permettre de juger si un tel acte est une trahison de l’islam ? Les théologiens et les juristes peuvent discuter des choix théopolitiques des terroristes, mais ils ne peuvent pas les exclure de la communauté. Ceux qui le font – et il en existe – sont souvent perçus par d’autres musulmans comme manquant d’humilité envers Dieu, seul capable de connaître les intentions profondes des cœurs. Il nous dépasse, bien au-delà de nos jugements.
Pour dire les choses clairement, même le meurtrier le plus abject reste musulman, même s’il commet ses crimes au nom de l’islam. Il peut toujours se repentir. Bien sûr, ses actes souillent l’image de l’islam, donnent une fausse représentation de Dieu, exposent toute la communauté musulmane à la désapprobation générale et sapent la confiance que les non-musulmans peuvent avoir envers leurs voisins musulmans. Mais il reste musulman.
La question qui se pose derrière le malaise que cette présentation peut susciter est la suivante : n’y a-t-il aucun levier religieux pour arrêter ces terroristes ? Certes, les lois civiles les condamneront lourdement, mais quel moyen l’islam offre-t-il pour contrer ces déviations commises en son nom ? Il me semble que deux réponses spécifiquement islamiques émergent : l’éducation et l’harmonie au sein du groupe.
Les deux leviers pour contrer les déviations
Depuis des siècles, l’éducation occupe une place centrale dans la vie des musulmans. On rapporte que le Prophète aurait encouragé les musulmans à chercher la connaissance, même jusqu’en Chine. Aujourd’hui, il est évident que l’éducation religieuse musulmane doit promouvoir des valeurs de respect de l’autre, de dignité humaine, et de rejet de la violence gratuite. Pour cela, la communauté musulmane doit disposer des ressources humaines, culturelles et intellectuelles nécessaires à la formation de ses membres. L’éducation religieuse représente un enjeu majeur pour l’islam contemporain.
Le second levier, l’harmonie au sein du groupe, peut sembler moins évident pour ceux qui ne sont pas familiers avec le contexte musulman. En l’absence d’une hiérarchie religieuse pyramidale au sein de l’islam, chacun peut se proclamer savant et diffuser ses idées, même les plus rétrogrades. Pourtant, être musulman signifie faire partie d’une communauté (ʾumma), sans que personne ne puisse véritablement définir les contours de cette communauté. Par conséquent, l’harmonie sociale joue un rôle essentiel dans la transmission d’un “art de vivre” musulman, au sein de la famille, du quartier ou de groupes d’affinité. En l’absence de régulation sociale, certains musulmans se retrouvent démunis et deviennent des cibles faciles pour les extrémismes violents. Autrement dit, être musulman tout seul représente un danger, car en l’absence d’un magistère centralisé, on s’expose à des interprétations individuelles souvent irrationnelles.
Être musulman signifie donc se remettre entièrement à Dieu, en suivant l’exemple du Prophète, tout en cultivant l’harmonie au sein d’une communauté de croyants et en poursuivant inlassablement la quête de la véritable connaissance de Dieu.