Gitans dans la cité Ariane : le destin d’une communauté marginalisée

Gitans dans la cité Ariane : le destin d’une communauté marginalisée

La semaine dernière, les habitants de Nice ont croisé des gitans à la cité Ariane, après le meurtre du policier Georges Janvier. Ces derniers, énervés, criaient en catalan ou en français, déclarant aux passants que les gitans étaient pires que de la merde. Les femmes les entouraient, formant un bloc solidaire et protecteur.

Le clan des Espinas, l’un des plus importants parmi les gitans des Alpes-Maritimes, s’est rapidement rendu au centre-ville pour attendre des nouvelles. Dans le froid, ils ont guetté la souricière du palais de justice pour apercevoir Joseph et Jean, les deux garçons mis en examen pour le meurtre du policier. François Espinas, le frère de Joseph et l’oncle de Jean, a apaisé la foule lorsque le climat a commencé à se tendre. Malgré sa petite taille, François, âgé de 33 ans, est un chef sans titre. Il parle et raisonne mieux que ses frères, cousins et alliés.

François n’envisage pas une seule seconde la culpabilité de Joseph et Jean : “Je les connais, c’est impossible, je le sais, c’est trop facile, on a pris des Espinas, ça fait l’affaire de tout le monde. Comment croire en la justice française ? Il n’y a pas de justice pour les gitans, nous comptons moins que des chiens à leurs yeux”, affirme-t-il en serrant les dents. François n’a jamais accepté la condamnation de son frère Georges à vingt ans de prison. À l’époque, cette affaire avait secoué la ville : Georges avait été reconnu coupable du meurtre d’un jeune Niçois, confondant sa voiture avec celle de l’assassin de l’un de ses frères. Son complice avait été libéré après seulement quelques mois de prison. “Depuis, on est maudit, je le sais bien”, reconnaît François.

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Le clan Espinas, qui fait figure de contre-modèle dans la grande cité populaire de l’Ariane, est l’une des familles les plus redoutées de la région. La police niçoise les qualifie de “Loups sans morale”. Pour de nombreux jeunes des quartiers, ils sont considérés comme des opportunistes qui profitent de toutes les aides sans aucune morale. Certains militants se souviennent du soutien constant et parfois musclé du clan Espinas à l’ancien maire de Nice, ce que François ne conteste pas en évoquant avec nostalgie le “Jacquou, ami des gitans”. Selon Djamel, ils ne veulent tout simplement pas s’intégrer.

François accueille sans émotion les pires jugements des non-gitans. “Que les gens nous aiment ou pas, finalement je m’en fiche. C’est ainsi depuis si longtemps, ce ne sont pas des mots qui vont les convaincre que nous ne sommes pas comme ils le pensent. Bien sûr, il y a des brebis galeuses parmi nous, mais il y en a aussi chez les Français. Cependant, en tant que minorité, cela se voit davantage. Et puis, on peut nous reprocher beaucoup de choses, mais au sein de notre communauté, il n’y a pas d’assassins de personnes âgées ou de pédophiles. Le vol à l’étalage est tout de même moins grave”, explique François.

Certains membres de la famille Espinas cohabitent tant bien que mal avec les non-gitans dans les HLM de l’Ariane sud. La plupart d’entre eux vivent à l’entrée de la cité, dans le lotissement des Chênes-Blancs, composé de maisons basses sans charme, construites en 1988 à leur demande. Quelques caravanes, des braseros dans la nuit, un désordre de tôles et d’objets cassés éparpillés sur le sol. Dans une pièce nue et blanche, des femmes apportent le café. Il n’y a qu’un poêle à mazout pour poser les tasses. Quelques chaises. Des hommes restent silencieux. François parle pour tous. Il se fait patient et tente de défendre en quelques phrases l’histoire de sa famille, arrivée au début du siècle d’Espagne à Sète, puis à Nice à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une histoire qui ne suscite pas l’amour des autres. Ils sont forains et ferrailleurs, dans la grande tradition. François affirme qu’ils pourraient pratiquer tous les métiers du monde, à l’exception de policier. “Ils nous en font trop baver”, précise-t-il.

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La famille est soudée face au reste du monde. François refuse de condamner les actes répréhensibles de ses frères ou de certains parents. Les armes saisies par Joseph et Jean lors de l’attaque du parking du bâtiment 6 dans le quartier Saint-Pierre servaient à se défendre face à une agression. Selon François, “Il faut bien se défendre lorsque mon frère est attaqué. Que dois-je faire ? Attendre la police ? Mais quand elle arrivera, il sera déjà mort. Ce n’est pas possible, mon devoir est de l’aider. S’il faut tirer, je tire. Personne ne peut m’empêcher de faire mon devoir, pas même Dieu. Nous ne craignons personne, et personnellement, je n’ai même pas peur de Dieu”. La mort, l’hostilité des autres, l’isolement, rien de tout cela n’émeut vraiment les Espinas. “C’est le destin des gitans, et il faut apprendre à vivre avec”, conclut François.