Le conflit israélo-palestinien a toujours eu des conséquences funestes, et l’une des périodes les plus critiques a été la crise pétrolière de 1973, qui a suivi la guerre du Kippour. Les pays membres de l’OPEP ont décidé d’augmenter le prix du baril de pétrole de 70 %. En conséquence, les prix à la pompe ont grimpé en flèche, ce qui a entraîné des difficultés pour les constructeurs de voitures exotiques.
C’était donc un mauvais moment pour lancer une berline de luxe animée par un énorme moteur V8 Chrysler, la Monica 560, du constructeur français Monica. Son fondateur, Jean Tastevin, était un industriel qui avait fait fortune dans la fabrication de wagons grâce à sa société, la CFMF (Compagnie Française de Matériel Ferroviaire).
Passionné par les voitures de luxe et triste de la disparition de Facel-Véga, Tastevin décide en 1966 de redonner à la France un modèle exceptionnel, dans la lignée des Bugatti, Delage, Delahaye et Talbot, en créant sa propre marque automobile. Il la nomme Monica, en référence au prénom de sa femme, Monique, et souhaite rivaliser avec Jaguar sur le marché français. Il découvre qu’un certain Chris Lawrence, un ingénieur et pilote automobile britannique, a conçu une variante à injection et culasse crossflow du moteur 6 cylindres équipant la Triumph TR5.
Ce moteur de 182 ch plaît à Tastevin, qui en commande 250 exemplaires. Lawrence, de son côté, se rend compte que la voiture n’est qu’un prototype et propose à l’industriel français de le développer via sa société Lawrence Tunes. En plus, l’Anglais, soutenu par le célèbre journaliste Gérard Crombac, sort de sa poche un moteur totalement inédit, un V8 3,0 l initialement conçu par Ted Martin pour la Formule 1. “Que pourrait-il mal se passer ?”, pour reprendre la question fétiche de Jeremy Clarkson. Comme dans les défis farfelus de ce dernier… Tout !
Déjà, Tastevin se rend compte que les prototypes de Lawrence sont affreux et étudiés à la va-vite ! Il rapatrie donc le design de sa voiture, confiant la tâche à un ancien de chez Bertone, Tony Rascanu, en 1969. Le designer roumain dessine un superbe coupé à quatre portes, dont le premier prototype est réalisé par Chapron : enfin, le projet prend forme ! La fin des problèmes ? Pas du tout. En effet, Carrosserie Vignale, approché par Tastevin, est racheté par De Tomaso et ne peut pas produire la voiture.
Retour en Angleterre, chez Airflow-Streamline, qui réalise les autres prototypes. Les études avancent, la suspension prend forme (double triangulation avant, essieu De Dion arrière) et une voiture presque définitive est présentée en 1972. Malheureusement, le moteur V8 Martin, augmenté à 3,5 l pour plus de souplesse, n’est pas du tout au point : sa conception initiale n’est pas adaptée à une voiture de route. Cette dernière nécessite du couple à bas régime et de l’endurance. Exactement le contraire des moteurs de course, qui cherchent avant tout la puissance maximale, mais avec une durée de vie éphémère…
Tastevin change donc son fusil d’épaule cette année-là et se tourne vers Chrysler, qui lui fournit un moteur V8 de 5,6 l, donnant ainsi à la voiture son nom : 560. Malheureusement, ce moteur, retravaillé pour développer 285 ch, est beaucoup plus imposant que le moteur anglais de 3,5 l, et oblige à redessiner le compartiment moteur. Qu’à cela ne tienne, on s’y attèle avec courage, et en mars 1973, la Monica 560 presque définitive est exposée au salon de Genève. Elle est magnifique, avec un superbe intérieur en cuir et bois, et elle est aussi très performante. Avec une vitesse de pointe de plus de 230 km/h, c’est la berline la plus rapide du monde !
Des essais de presse concluants ont lieu au printemps au Castellet, et à la rentrée, la Monica finalisée fait ses débuts au salon de Paris. Proposant une boîte de vitesses ZF à 5 rapports ou une Chrysler Torqueflite à 3 rapports, elle ne manque pas d’arguments. Mais la malchance continue. La guerre du Kippour éclate à ce moment-là. Quand ça ne veut pas…
Ainsi, lorsque les premiers exemplaires sont disponibles en 1974, la clientèle ne se presse pas. Il faut dire que la Monica coûte 164 000 F (plus de 140 000 € actuels selon l’Insee) et consomme beaucoup. En février 1975, après avoir fabriqué environ 28 exemplaires dans son usine de Balbigny (et en avoir apparemment vendu 17), Tastevin jette l’éponge avant de tout perdre. Guy Ligier récupère les outils et les carrosseries déjà assemblées, mais laisse tout pourrir, mettant ainsi fin à l’aventure de la Monica 560, la dernière tentative française crédible pour revenir sur le marché des berlines de luxe.