La fin des moteurs thermiques en Europe : un débat électrique

La fin des moteurs thermiques en Europe : un débat électrique

Le 27 mars 2023, l’Europe a adopté une mesure phare de son Pacte vert visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 : l’interdiction de la vente de moteurs thermiques d’ici 2035. Cette décision n’a pas été prise sans heurts dans les couloirs feutrés des institutions européennes. En tant que poids lourd industriel et politique du continent, l’Allemagne a bloqué l’adoption du texte pendant un certain temps, sous l’influence du parti libéral FDP, qui avait à cœur de préserver le secteur automobile, un fleuron de l’économie du pays.

Cependant, cette interdiction a été contestée au-delà des frontières de la première économie européenne. La République tchèque, la Pologne et la Slovaquie, qui sont des arrière-cours manufacturières de l’Allemagne, ont également exprimé leurs inquiétudes quant à l’effondrement de tout un écosystème de sous-traitants. Pour lever son veto, Berlin a obtenu une exemption pour les moteurs thermiques utilisant du e-fuel. Cependant, cette faveur accordée aux constructeurs allemands ne répond pas aux préoccupations sociales et politiques liées à la menace très imminente que représente l’électrification forcée du parc automobile européen. En effet, cela pourrait entraîner la suppression de centaines de milliers d’emplois sur le continent.

La fin du moteur thermique : un défi pour l’Europe

Comment l’Union européenne et ses États membres parviennent-ils à concilier les objectifs climatiques et les réalités socio-économiques ? Alors que le marché de la voiture thermique est bien établi, comment faire face à la concurrence croissante des constructeurs chinois, particulièrement en avance sur le créneau de la voiture électrique ? Et au sein même de l’Union européenne, quels rapports de force sont actuellement en jeu entre Bruxelles, les États membres et les géants de l’industrie automobile ?

À lire aussi  MG dévoile le nouveau Marvel R Electric : un SUV lifestyle high-tech

Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Tommaso Pardi, chargé de recherche au CNRS et président du Groupe d’études et de Recherche Permanent sur L’industrie et les Salariés de l’Automobile (Gerpisa), ainsi que Marie Krpata, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’IFRI.

Marie Krpata revient sur les enjeux de politique intérieure allemande qui ont conduit la plus grande économie d’Europe à faire pression pour obtenir une clause d’exception pour son industrie automobile : “Volker Wissing, le ministre des Transports allemand, est affilié au parti libéral FDP. Il a été particulièrement actif dans ce travail de lobbying, mené pour défendre les intérêts des électeurs du FDP. Le parti libéral allemand est considéré comme le “parti de l’automobile”. Il a donc tenté de renouer avec sa base électorale, faite d’entrepreneurs, en défendant les intérêts de l’industrie automobile allemande.”

Au-delà de ces enjeux de politique allemande, Tommaso Pardi souligne que l’interdiction des moteurs thermiques en 2035 pose un dilemme socio-environnemental majeur pour l’Europe : “Avec cette électrification forcée, il y a un risque de voir d’un côté les riches s’offrir des véhicules électriques et donc accéder aux avantages des villes, tels que les parkings gratuits, les panneaux solaires et les primes, tandis que les classes moyennes et populaires seront exclues de cette économie électrifiée avantageuse. Si les prix des véhicules électriques ne deviennent pas suffisamment abordables, ces dernières devront faire face à l’augmentation des prix de l’essence et du carburant, ainsi qu’à l’entretien de vieux véhicules d’occasion. Les enjeux industriels se mêlent ainsi à des questions socialement et politiquement sensibles, avec le risque de voir émerger des mouvements similaires aux Gilets Jaunes en France.”

À lire aussi  DS 7 E-Tense hybride rechargeable : le SUV de luxe électrifié

Focus – Batteries électriques : l’Europe entre alliance et rivalités

Pour atteindre une plus grande autonomie, la Commission européenne a lancé l’alliance européenne des batteries en 2017, dans le but de mieux faire face à la concurrence internationale dans l’industrie de l’automobile électrique. Mais malgré l’existence d’une trentaine d’usines en service ou en projet, cette alliance masque malgré tout les rivalités industrielles persistantes entre les États membres.

Selon Anne-Sophie Alsif : “L’objectif est de réintégrer toute la chaîne de valeur en Europe, y compris les sites de production ainsi que ce qui est actuellement géré par la sous-traitance. L’Union européenne apporte un soutien financier important pour renforcer cette volonté d’autonomie stratégique, mais au final, ce sont toujours les États qui décident et qui conservent leur souveraineté en matière de politique industrielle.”

Références sonores

  • En juin 2022, le président de la commission ENVI (environnement et santé) du Parlement européen, Pascal Canfin, a défendu la fin des voitures thermiques, condition indispensable pour atteindre la neutralité carbone.

  • Le président du directoire de Volkswagen défend une politique industrielle tournée à la fois vers les e-carburants et les moteurs électriques.

  • Le chancelier allemand, Olaf Scholz, insiste sur le fait qu’un consensus existe en Europe pour accorder une clause d’exception pour les voitures à moteur thermique utilisant du e-fuel.

  • En mars 2023, Thierry Breton, commissaire européen à l’industrie, défend une industrie automobile européenne exportatrice de moteurs thermiques dans les régions du monde où la voiture électrique est inaccessible pour les ménages – BFM TV.

  • Interview de Yann Vincent, directeur général d’Automotive Cells Company (ACC).

  • Queen – I’m In Love With My Car (1975).

  • Instrumental : Boards of Canada – ‘Nothing is real’.

À lire aussi  Guide des bornes de recharge pour véhicules électriques à Rennes

Source: Radio France Internationale