La pilule sans consulter le médecin : une mini-révolution

La pilule sans consulter le médecin : une mini-révolution

Le Sénat vient d’adopter une mesure dans le cadre du projet de loi sur l’hôpital, permettant aux pharmaciens et aux infirmiers de prescrire la pilule contraceptive sous certaines conditions, en remplacement des médecins généralistes et des gynécologues. Cette avancée, visant à “prévenir les grossesses non désirées”, pourrait toutefois entraîner des dérives. Décryptage.

Qui peut prescrire la pilule ?

Aujourd’hui, seuls les médecins généralistes et les gynécologues sont habilités à prescrire la pilule ainsi que d’autres formes de contraception telles que le patch, l’implant ou le stérilet.

Avec cette nouvelle disposition, seuls les médecins restent compétents pour la première prescription. En revanche, les infirmiers et les pharmaciens seront autorisés à renouveler les prescriptions pour les pilules remboursées par la sécurité sociale.

Il convient de préciser que cette mesure ne concerne en réalité que les pilules de deuxième génération (les plus anciennes) qui sont prises en charge par la Sécurité sociale. Les nouvelles pilules (les mini-dosées) ne sont pas concernées par cette nouvelle loi. Pourquoi ? Selon Elisabeth Paganelli, gynécologue libérale à Tours et membre du Syngof, le syndicat des gynécologues et obstétriciens de France, “certainement pour éviter que les pharmaciens soient tentés de prescrire et donc de vendre les pilules les plus chères (jusqu’à 45 euros les 3 plaquettes). Les sénateurs ne veulent pas encourager le lobbying pharmaceutique, cela paraît assez clair”.

Quel est le délai maximal de prescription ?

Actuellement, les médecins et les gynécologues peuvent prescrire la pilule pour une durée maximale de six mois ou un an. Ils ne peuvent pas dépasser cette période.

Avec cette nouvelle disposition, les infirmiers et les pharmaciens pourront renouveler les prescriptions pour une durée maximale de six mois, non renouvelable.

Cependant, le docteur Michel Chassang, président du CSMF, le principal syndicat des médecins libéraux, s’inquiète des conséquences de cette mesure. Selon lui, la formulation de la loi laisse la possibilité à une femme de changer tous les six mois d’infirmier ou de pharmacien afin de prolonger son ordonnance. Cela ouvre ainsi la voie à de potentielles dérives. Il rappelle également que “la pilule n’est pas un bonbon. C’est un médicament avec ses contre-indications et ses effets secondaires redoutables tels que les accidents cardio-vasculaires et les troubles métaboliques majeurs”.

Pourquoi un tel assouplissement de la loi ?

Il existe aujourd’hui un décalage entre la loi et la réalité. En effet, les professionnels reconnaissent que les pharmaciens délivrent déjà la pilule dans certains cas. Que ce soit en cas d’oubli d’ordonnance ou lorsque la cliente affirme être en attente d’un rendez-vous, les pharmaciens dépannent déjà les femmes. La gynécologue Elisabeth Paganelli témoigne : “Tiens, encore cet après-midi, une jeune patiente d’une vingtaine d’années m’a avoué qu’elle prenait la pilule depuis quatre ans sans avoir consulté depuis”.

D’autre part, cette mesure vise à répondre à la problématique des interruptions volontaires de grossesse (IVG) en progression chez les mineures, une préoccupation majeure pour les infirmières scolaires. Béatrice Gaultier, secrétaire générale adjointe du syndicat des infirmières scolaires, le SNIC-FSU, souligne que “le nombre de grossesses non désirées, en particulier chez les jeunes femmes, est un problème de santé publique. Cette mesure a donc pour objectif de faire baisser le nombre d’IVG”.

De nombreux facteurs peuvent expliquer ces grossesses non désirées chez les jeunes femmes. Les ruptures de prescriptions en font partie car elles oublient parfois de prendre rendez-vous chez le médecin ou n’osent pas aborder ces sujets délicats avec leurs parents. L’infirmière scolaire raconte même que certaines jeunes filles estiment ne plus avoir besoin de la pilule lorsqu’elles n’ont plus de petit copain.

L’objectif de cette mesure n’est pas de remplacer les médecins, mais plutôt de collaborer avec eux pour assurer un meilleur suivi des jeunes filles. Selon la représentante du syndicat des gynécologues, cette mesure est bénéfique pour tous. Elle permettra d’éviter la distribution clandestine de pilules et de réorienter les patientes vers un spécialiste en cas de problème. Elle souligne également le manque de spécialistes, particulièrement dans ce domaine, et estime que les gynécologues sont plus utiles pour traiter les cas pathologiques que les cas normaux.

En conclusion, l’adoption de cette mesure qui autorise les pharmaciens et les infirmiers à prescrire la pilule contraceptive sous certaines conditions marque une avancée significative dans la lutte contre les grossesses non désirées. Toutefois, il est essentiel de veiller à encadrer cette pratique de manière rigoureuse afin d’éviter d’éventuelles dérives et de garantir la sécurité des femmes qui utilisent la pilule.