La répression de la prostitution à Lyon : une situation alarmante

La répression de la prostitution à Lyon : une situation alarmante

Une fois de plus, les travailleuses du sexe sont marginalisées. Depuis le 2 mai, un arrêté d’interdiction de stationnement émis par la préfecture du Rhône les soumet à Lyon. Cet arrêté concerne “tout véhicule dans lequel s’exerce une activité de prostitution, dans une vingtaine de rues situées dans le quartier de Gerland”, précise la préfecture dans un communiqué. Cette zone du VIIe arrondissement, située à quelques arrêts de métro du centre-ville, est le principal lieu de la prostitution de rue dans la métropole. Les femmes, majoritairement, y reçoivent leurs clients à l’arrière de camionnettes garées autour du stade. Jusqu’à 150 véhicules peuvent être trouvés sur place en fin de semaine. Dorénavant, la police est autorisée, dans le cadre des patrouilles, à intervenir sur place. Les contrôles pourraient avoir lieu “dans les prochains jours, de manière sporadique”, indique le service de communication de la préfecture. Selon nos informations, une première opération de police, accompagnée de la fourrière, a déjà débuté jeudi vers 16 heures.

Un déplacement forcé justifié par la Coupe du monde de rugby

Gerland, l’enceinte historique de l’Olympique lyonnais, accueille depuis cinq ans le club du Lyon olympique universitaire. Après le football, c’est désormais au rugby de prendre place, avec l’approche de la Coupe du monde de rugby. Les premières installations de la compétition internationale auront lieu fin août, car le stade deviendra le camp de base des All Blacks en septembre et en octobre. Cependant, cet arrêté n’est pas uniquement motivé par l’événement sportif. La préfecture invoque également des “troubles à la tranquillité publique liés à la multiplication des violences (vols, extorsions, menaces…) et à la dégradation des conditions sanitaires par la multiplication des déchets abandonnés (seringues et préservatifs usagés) à proximité immédiate des équipements sportifs fréquentés notamment par de jeunes enfants”, explique-t-elle.

Une mobilisation sans précédent depuis les années 70

Pourtant, les travailleuses du sexe ne sont pas responsables de ces dépôts sauvages. “Les femmes, comme les associations l’ont confirmé, des jeunes débarquent le soir pour différentes activités dans un contexte violent”, indique Sandrine Runel, adjointe au maire de Lyon déléguée aux solidarités et à l’inclusion sociale. L’élue “prend acte de l’arrêté et regrette cette décision” : “Ce n’est pas une surprise, elle était dans les tuyaux, mais ce n’est pas la nôtre, nous avons nous-mêmes refusé d’aller dans ce sens.” Contrairement à la politique répressive menée durant vingt ans par le maire Gérard Collomb, l’actuel exécutif dirigé par le maire Europe Ecologie-les Verts Grégory Doucet a suspendu depuis mi-décembre les interdictions municipales de stationnement. Pour David Souvestre, membre du groupe Lyon en commun au sein de la majorité, la décision de la préfecture est scandaleuse car elle entrave le travail de médiation qui avait été initié, alors que les relations avec les riverains s’étaient apaisées.

Au fil des mois, la situation à la Plaine des jeux s’était tendue. Ce complexe sportif, le plus grand de la ville, jouxte les rues où stationnent les camionnettes. À l’automne, une pétition d’usagers des installations a recueilli près de 3 400 signatures pour demander à la mairie “d’assurer dans sa commune le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique”. En février, les travailleuses du sexe de Gerland se sont réunies en assemblée générale, une mobilisation sans précédent à Lyon depuis les années 70. Elles ont exprimé leur volonté de rencontrer les parents et la police, déclarant dans un communiqué qu’elles étaient “pleinement disponibles pour que leur travail n’affecte pas la vie quotidienne” des habitants. Elles revendiquent l’accès à des douches, des toilettes, des poubelles et souhaitent pouvoir “travailler tranquillement sans pression, menace, insulte ou surveillance indue”. Elles se disent également prêtes à payer des impôts sur le revenu et à collaborer sur les horaires de leur présence afin de ne pas perturber la vie des enfants.

Un déni d’intelligence collective

Le 5 avril, leurs représentantes ont eu un échange à la préfecture. Mais le début des expulsions ce jeudi est perçu comme “un aveu historique d’assumer que les forces de l’ordre vont être envoyées pour décourager la prostitution alors qu’on essaie de construire une concertation participative, non superficielle”, s’indigne Lola, prostituée et membre de l’association Cabiria, qui mène des actions de santé communautaire à Lyon. Elle condamne “le mépris social au plus haut point et le déni d’intelligence collective qui mettent les femmes en danger et alimentent la discrimination et donc les violences”.

Sandrine Runel partage son inquiétude quant à l’endroit où ces personnes trouveront refuge, car “plus elles sont éparpillées, plus elles sont à la merci des clients et d’autres agresseurs”. “Elles ne vont pas arrêter de travailler parce qu’on leur dit de partir”, prévient Lola. Les camionnettes pourraient se déplacer vers les communes périurbaines de Saint-Fons ou de la plaine Saint-Exupéry. Cela renforcera encore plus l’isolement et la précarité de ces femmes, ainsi que leur difficulté d’accès aux soins, à la prévention et à l’insertion socio-professionnelle.