Au cours de la guerre civile espagnole (1936-1939), alors que les troupes du général Franco avançaient vers la Catalogne, plus de 450 000 républicains espagnols ont été contraints de fuir et de traverser la frontière vers la France. Avant cela, le gouvernement d’Édouard Daladier a approuvé un décret-loi permettant l’internement des “étrangers indésirables” sous surveillance permanente. Cette mesure a justifié la construction de camps de concentration dans lesquels les réfugiés espagnols, puis toute personne considérée par les autorités comme dangereuse pour la défense nationale ou la sécurité publique, allaient être emprisonnées.
Le camp militaire Camp Joffre de Rivesaltes, ouvert en 1938, a été adapté pour servir de camp d’internement avec la construction de 150 grandes baraques dans une zone de 600 hectares. Les premiers prisonniers sont arrivés à la mi-janvier 1941. À la fin du mois de mai, 6 500 personnes de 16 nationalités différentes (environ la moitié d’entre elles étaient des Espagnols, un tiers étaient des Juifs étrangers) étaient emprisonnées dans des conditions de vie inhumaines. La “Solution finale” mise en œuvre par l’Allemagne nazie a forcé une partie du camp à devenir un “Centre interrégional pour la réunification des Israélites” en août 1942. Rivesaltes est alors devenu le principal centre de la Zone libre pour la réunification, la classification, la sélection et la déportation des Juifs arrêtés dans le sud de la France. Selon les estimations, environ 2 313 personnes ont été envoyées à Auschwitz après un séjour à Drancy. La guerre en Algérie a marqué la deuxième phase de Rivesaltes en tant qu’institution pénale et centre d’internement. Entre octobre 1962 et la fin de 1964, jusqu’à 20 000 “Harkis” (Algériens qui ont combattu du côté français) ont été emprisonnés à Rivesaltes, généralement pour une courte période, même si certaines familles ne sont pas sorties du camp avant 1977. Un centre de rétention administrative pour les migrants irréguliers a été mis en place dans le camp entre 1986 et 2007. C’est considéré comme le dernier épisode de ces 70 années de répression, d’enfermement et de déplacement forcé.
En 1997, les demandes en faveur de la transformation du camp en un espace mémoriel ont augmenté, en particulier après que le collectif citoyen “À la mémoire vivante du camp de Rivesaltes” ait déposé une demande officielle demandant la préservation du camp. Trois ans plus tard, le Conseil général des Pyrénées-Orientales a acheté au gouvernement français une partie du terrain militaire où se trouvait autrefois le groupe de baraques, afin de créer le Mémorial du Camp de Rivesaltes. Depuis lors, le projet est soutenu essentiellement par les institutions régionales et départementales, et a entamé une longue période de développement visant à ouvrir en 2015 un centre de référence sur l’histoire des internements en France.
En ce qui concerne le camp de Rivesaltes, le processus d’obtention du statut de patrimoine a été, et est toujours, un cas précieux d’analyse, car il rassemble bon nombre des principaux débats et défis qui affectent actuellement la question de la valorisation du patrimoine. L’un des défis concerne le processus de construction d’un récit dans lequel la pluralité des mémoires converge en un seul espace. En commençant par la guerre civile espagnole et en finissant par la situation actuelle des immigrés illégaux, chacun des épisodes devrait être inclus dans un discours commun sur l’histoire des internements en France. Ce discours devra être capable de combiner les contributions de chaque mémoire du point de vue éthique, tout en évitant à la fois la hiérarchisation et la dissolution dans un discours homogénéisant. Les leçons tirées de Rivesaltes seront une contribution importante aux actions futures concernant ce patrimoine complexe du passé récent.
Note: This article was originally written in French. The content may have been adapted for clarity in English.