La voiture électrique à la croisée des paradoxes : Les constructeurs européens face à une situation complexe

La voiture électrique à la croisée des paradoxes : Les constructeurs européens face à une situation complexe

Ces dernières années, l’industrie automobile a connu une électrification évidente : en septembre 2023, les voitures électriques représentaient 19% des ventes totales de voitures particulières, une augmentation de 3 points par rapport à l’année précédente. Cette hausse des ventes s’explique par la sensibilité croissante des consommateurs à l’impact environnemental de leurs achats et par des réglementations européennes incitatives.

Cependant, la voiture électrique est confrontée à plusieurs paradoxes. Si la sensibilité environnementale est un facteur essentiel dans la décision d’acheter un véhicule électrique, le prix joue un rôle central dans le choix final du véhicule. En d’autres termes, l’intention de consommer de manière plus responsable se heurte souvent à la réalité financière des acheteurs qui ne peuvent pas se permettre d’acquérir une Tesla, dont le Model 3 est vendu à 42 990 euros.

De plus, la politique européenne visant à mettre fin à la vente de voitures thermiques d’ici 2035 pourrait avoir des conséquences négatives pour l’Union européenne en favorisant les constructeurs non européens, en particulier chinois. Les aides à l’achat offertes par la France pourraient également conduire à ce paradoxe, comme l’a souligné récemment Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances : “L’argent des contribuables français n’a pas vocation à financer des véhicules provenant à 70% de Chine.”

La Chine en avance

En 2022, la Chine est devenue le premier exportateur mondial de voitures électriques, avec une présence significative en Europe, où une voiture vendue sur cinq est fabriquée en Chine. Une étude approfondie sur quatre constructeurs automobiles chinois met en évidence une complémentarité institutionnelle, combinant politiques gouvernementales, conditions de marché et capacités technologiques, comme base du succès chinois.

Cette complémentarité institutionnelle se traduit notamment par une politique forte de subventions publiques ainsi que par l’aide de l’État chinois pour sécuriser l’accès aux matières premières indispensables à la fabrication des batteries, telles que le lithium, le nickel et les terres rares.

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Ainsi, la Chine compte une cinquantaine de constructeurs automobiles produisant des voitures électriques. Certains d’entre eux, comme BYD, SAIC et GAC, sont en passe de devenir des géants mondiaux du secteur. Grâce à cette complémentarité institutionnelle, le leader chinois, BYD, profite de capacités technologiques exceptionnelles. Le groupe contrôle intégralement sa chaîne de production de batteries, ce qui réduit considérablement les coûts, et compte utiliser l’attrait de ses modèles, notamment la Dolphin et la Seal, pour conquérir le marché européen.

Un “Buy European Act” ?

Face à l’avancée chinoise, les constructeurs européens se demandent quelles sont leurs marges de manœuvre pour prendre la tête de la démocratisation des voitures électriques sur le Vieux Continent. Selon une étude de la banque d’investissement UBS, d’ici 2030, 20% des voitures électriques en Europe pourraient être chinoises, et 10% seraient des Tesla. Il reste donc 70% du marché à conquérir. Quelles sont donc les marges de manœuvre des constructeurs européens pour capter cette part de marché ?

Une complémentarité institutionnelle, partiellement inspirée du modèle chinois, est à l’étude et fait l’objet de vives discussions au Parlement européen. En France, Bruno Le Maire et le président Emmanuel Macron estiment que l’Union européenne ne pourra pas relever ce défi sans un “Buy European Act”, une forme de protectionnisme européen servant de rempart aux voitures chinoises, fortement subventionnées par des aides d’État et des tarifs douaniers avantageux pour l’importation en Europe.

Dans ce contexte, les règles du bonus écologique français ont déjà été adaptées pour favoriser les voitures électriques produites en Europe. Une étude menée dans 50 États américains a d’ailleurs démontré l’efficacité de ces incitations sur l’adoption des voitures électriques : une augmentation de 1 000 dollars de la valeur de ces aides entraîne une hausse de 5 à 11% des nouvelles immatriculations de voitures électriques.

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La France veut désormais aller plus loin avec l’annonce d’un dispositif de location de voitures électriques à 100 euros par mois pour les modèles produits en Europe et pour les ménages dont le revenu fiscal est inférieur ou égal à 14 089 euros.

Une gigafactory près de Lens

La complémentarité institutionnelle nécessite un travail de la part des constructeurs européens sur leur modèle économique. Les avancées récentes de la recherche académique montrent l’importance des innovations technologiques, en particulier en ce qui concerne les batteries, et la nécessité de partenariats pour les constructeurs dans cette course à l’innovation. Par exemple, le constructeur japonais Toyota a été étudié pour ses liens étroits avec ses fournisseurs, qui ont permis des transferts de connaissances majeurs. En Europe, la gigafactory récemment inaugurée près de Lens (Pas-de-Calais), fruit de la collaboration entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes Benz, vise à stimuler la production française de batteries. D’autres projets similaires devraient voir le jour.

De plus, de nouvelles propositions de valeur doivent être introduites. Les intentions d’achat et l’adoption ultérieure de véhicules électriques sont fortement influencées par les perceptions et la confiance des consommateurs envers différentes variables, telles que la technologie, le prix, la disponibilité et leur connaissance de l’utilisation des véhicules électriques. Les constructeurs doivent donc comprendre ces motivations pour capitaliser sur les sources de valeur. Par exemple, les personnes de plus de 40 ans choisissent moins fréquemment des véhicules électriques que leurs homologues plus jeunes. Il est donc essentiel pour les constructeurs de comprendre les raisons de ce choix, car cette tranche d’âge est plus disposée à accepter le prix élevé des véhicules électriques tout en privilégiant la qualité comme critère d’achat principal. Cela pourrait se traduire par la vente de modèles plus chers, générant ainsi des marges plus importantes pour les constructeurs.

Une production 59% plus chère

Une autre marge de manœuvre réside dans l’intégration de l’infrastructure de recharge dans les modèles économiques des constructeurs européens. Cela peut également représenter une opportunité pour les acteurs de la chaîne de valeur des véhicules électriques en tirant parti de la numérisation et en trouvant de nouvelles sources de création de valeur pour le client. Par exemple, l’utilisation des stations de recharge pour offrir des services numériques de tiers, notamment à des fins publicitaires, peut générer une valeur ajoutée supplémentaire.

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De plus, le prix des véhicules électriques doit être revu à la baisse, notamment grâce aux marges de manœuvre dont nous avons précédemment parlé. Leur prix reste le principal frein à leur démocratisation. Bien que Renault et Citroën aient récemment annoncé le lancement de leurs premières voitures électriques à moins de 25 000 euros (la Twingo Legend et la Citroën ë-C3, respectivement), les coûts de production d’un véhicule électrique sont actuellement 59% plus élevés que ceux d’un véhicule thermique.

Comment résoudre ce dilemme ? Une solution avancée dans la recherche est de transférer une partie du prix d’achat vers les coûts d’exploitation du véhicule. Ainsi, une partie des coûts (notamment ceux liés à la création d’infrastructures de recharge mentionnées ci-dessus) pourrait être intégrée aux frais payés par les clients lorsqu’ils optent pour la location d’un véhicule. Cette approche semble d’autant plus pertinente que la location reste le mode d’acquisition privilégié pour les véhicules électriques, tandis que l’achat est préféré pour les véhicules thermiques.

En conclusion, selon une étude récente, les véhicules électriques pourraient devenir pleinement compétitifs d’ici 2035. Les constructeurs européens disposent de marges de manœuvre qui semblent se profiler autour d’une complémentarité institutionnelle entre décideurs publics, partenariats privés et innovations technologiques. Cette complémentarité est essentielle pour permettre aux constructeurs européens de se faire une place importante sur le marché mondial.


Cet article est une réécriture basée sur l’article original de Céline Flipo et Benjamin Boeuf, publié sur The Conversation. Il aborde les défis auxquels sont confrontés les constructeurs européens dans le domaine des voitures électriques.