D’un test suédois à un scandale industriel sans précédent, Mercedes a vécu trois semaines de tension extrême. Voici le récit de cette affaire, où l’on découvre que les dérapages ne sont pas uniquement imputables à la Baby-Benz, entre pneus défectueux, roues mal montées et images occultées.
21 octobre: un tonneau en Suède
Bornhold, un petit aéroport près de Stockholm. Ce mardi matin, Robert Collin, rédacteur en chef de Tecnikens Vaerld, réunit quelques confrères pour tester la Mercedes Classe A. Cette nouvelle voiture allemande sera mise en vente dans trois jours et les cinq journalistes veulent effectuer un test “baïonnette”, un grand classique de l’essai automobile. Ce test consiste à éviter brusquement un obstacle pour tester la réaction du véhicule. Robert Collin est au volant et accélère jusqu’à 60 km/h puis donne un grand coup de volant sans freiner. À ce moment-là, la voiture penche fortement sur ses roues gauches. Mais lorsqu’il effectue le même mouvement en sens inverse, les choses se gâtent. “Elle a décroché d’un coup”, explique le journaliste. “Je n’ai pas eu le temps de comprendre, qu’elle était déjà partie en vrille.” La voiture fait un tonneau complet, blessant légèrement le passager avant. La nouvelle se répand rapidement dans la presse suédoise, et cela tombe mal car le magazine Billagare organise cette année l’élection de la voiture de l’année et la Classe A est l’une des grandes favorites.
23 octobre: nouveau test à Stuttgart
Mercedes décide de procéder à de nouveaux tests pour comprendre les circonstances de l’accident en Suède. Les ingénieurs découvrent que la Classe A impliquée était équipée de pneus Goodyear. Lors de l’évitement brusque, l’un des pneus arrière est sorti de sa jante, touchant le sol et provoquant le retournement de la voiture. Tout au long de la semaine, la presse allemande relaye l’histoire de l’évitement suédois et diffuse des photos de la Classe A accidentée.
29 octobre: Mercedes accuse Goodyear
Jürgen Schrempp, président du directoire de Mercedes, réunit la presse internationale et annonce le rappel de toutes les Classe A équipées de pneus Goodyear. Il admet que la voiture présente un problème dans des conditions extrêmes et met en cause le fabricant américain. Les voitures livrées seront désormais équipées de pneus Michelin, Continental et Pirelli. En outre, Mercedes décide de rendre l’ESP (Programme de stabilité électronique) de série sur toutes les Classe A, alors qu’il était initialement disponible en option à 6 000 francs. Cette opération représente un coût de 510 millions de francs pour le constructeur.
Le même jour, la chaîne allemande ZDF diffuse un nouvel essai de la Classe A réalisé avec le magazine spécialisé Auto Bild. La voiture est filmée en équilibre sur deux roues, mais parvient à retomber sur ses quatre roues sans basculer.
31 octobre: la presse se déchaîne
Le magazine Auto Bild publie en une une photo de la Classe A en équilibre précaire. Cela déclenche un torrent de réactions dans toute l’Europe. L’hebdomadaire Stern consacre 12 pages à l’affaire et le journal italien Panorama lui consacre sa une avec un énorme titre “Oops”.
4 novembre: “Auto Bild” s’excuse
Auto Bild fait son mea culpa. La direction du journal reconnaît que les photos montrant les roues arrière de tailles différentes étaient truquées. Après un premier dérapage, un pneu était crevé. Les journalistes ont alors retiré une roue arrière d’une autre Classe A pour poursuivre le test. Cependant, cette deuxième voiture était une version 160 avec des pneus plus larges que la version 140 testée. “La différence entre les deux roues a très bien pu déséquilibrer la voiture”, s’excusent les journalistes.
7 novembre: nouvel essai, nouveau scoop
Mercedes réalise un nouvel essai dans la banlieue de Stuttgart. Cette fois-ci, la Classe A n’est pas testée seule. Une Volkswagen Golf et une Opel Astra sont également soumises à l’épreuve de l’évitement brusque. À 60 km/h, toutes les voitures réussissent le test. À 70 km/h, la situation devient plus critique. Mais à 80 km/h, les trois voitures se retrouvent toutes les trois sur le toit. Un paparazzi qui se trouvait à proximité prend des photos de la scène. Ces photos sont ensuite vendues à l’hebdomadaire suisse Sonntaggzeitung et au journal allemand Stuttgarter Zeitung, qui les publient le week-end suivant. Cependant, seules les photos de la Mercedes sont diffusées.
11 novembre: les livraisons sont arrêtées
La presse allemande critique violemment Mercedes. La cellule de crise de la société parvient à convaincre Jürgen Schrempp de suspendre les livraisons de la Classe A. La voiture ne sera pas commercialisée avant février 1998. Les réglages des suspensions et des amortisseurs seront revus. En attendant, l’usine de Rastatt continue de produire 200 Classe A par jour, qui sont stockées en attendant d’être corrigées. En février, 11 000 voitures attendront leurs potentiels clients. Au final, cette mésaventure coûterait plus d’un milliard de francs à Mercedes.
12 novembre: le pied de nez de la Trabant
Le journal allemand Thueringer Allgemeine réalise un test de l’évitement brusque avec une Trabant, la voiture emblématique des pays de l’Est. L’auto réussit le test avec brio, mais il faut noter que la voiture était conduite par Mario Schuhmann, pilote professionnel et spécialiste de la Trabant.