Le nom de la variole du singe est trompeur

Le nom de la variole du singe est trompeur

Depuis que la variole du singe, également connue sous le nom de monkey pox, est arrivée en Europe, nous découvrons l’existence de ce virus originaire d’Afrique. Son nom, ainsi que l’orientation sexuelle des premiers individus touchés, ont suscité des rumeurs et des stigmatisations rappelant les premières heures de la pandémie du VIH. Mais pourquoi ce virus est-il appelé variole du singe ? Où se trouve le singe dans cette histoire ?

La réponse est à la fois simple et compliquée. Selon Tania Louis, docteure en virologie et médiatrice scientifique, “La variole du singe porte ce nom car elle provoque des symptômes similaires à ceux de la variole et a été découverte pour la première fois chez le singe.”

Une variole, mais pas LA variole

Expliquons cela plus en détail. Jusqu’à la fin du siècle dernier – le virus de la variole du singe ayant été identifié pour la première fois en 1958 – il était courant de nommer une maladie en fonction des symptômes qu’elle provoquait. Le fait qu’elle provoque des vésicules similaires à celles de la variole – ou petite vérole – explique pourquoi elle a été nommée ainsi à l’époque.

Son nom provient du latin “variola”, qui signifie “petite pustule”, avec l’influence du mot “varius” qui signifie “varié, bigarré, tacheté, moucheté”. En anglais, le terme “pox”, le pluriel de “pock”, signifie pustule et désigne de nombreuses maladies qui provoquent des boutons, comme la variole (small pox) ou la varicelle (chicken pox). La famille de virus qui cause ces maladies est d’ailleurs appelée “poxvirus”.

Cependant, cela pose un problème. Comme le souligne Tania Louis, “un même virus ne provoque pas les mêmes symptômes selon l’animal qu’il infecte”. Il peut même ne pas provoquer de symptômes du tout s’il infecte un animal considéré comme un réservoir. De plus, la virologue explique que “dire que deux virus appartiennent à la même famille est trompeur, c’est comme dire que deux animaux sont des mammifères.” Si une vache et un lapin ont plus de similitudes qu’une vache et un poulpe, il est indéniable que les deux mammifères ont tout de même quelques différences.

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Cela vaut également pour la variole et la variole du singe. La première, éradiquée en 1980, était extrêmement mortelle, causant près de 30 % de décès chez les personnes infectées, et laissant des cicatrices importantes sur le visage et des déformations des membres. Elle n’était pas non plus une zoonose et se transmettait uniquement d’humain à humain. De plus, elle était très contagieuse, avec un taux de reproduction (R0) compris entre 5 et 7, ce qui est très élevé.

La variole du singe est quant à elle beaucoup moins virulente et moins mortelle, avec un taux de mortalité compris entre 1 % et 10 % en Afrique, et elle provoque moins de séquelles à long terme. Selon les experts, elle semble également moins contagieuse, mais il est difficile de donner un chiffre précis, comme l’explique l’épidémiologiste genevois Antoine Flahault : “Avant cette épidémie non-africaine, le R0 était inférieur à 1, ce qui signifie qu’il n’y avait pas d’épidémie. Actuellement, il est difficile de le mesurer, car il faut distinguer l’effet de rattrapage dû à la médiatisation de la transmission.”

De plus, si la variole du singe se transmet entre les humains, elle est également une zoonose, c’est-à-dire qu’elle est transmise de l’animal à l’homme. Cette transmission zoonotique peut se faire par contact direct avec une lésion chez l’animal, par ses sécrétions respiratoires, ou encore par contact indirect, notamment par la capture, le dépeçage, la préparation et la consommation d’animaux sauvages forestiers contaminés. Bien que l’animal réservoir n’ait pas encore été identifié à 100 %, les meilleurs candidats sont de petits rongeurs, en particulier les écureuils Funisciurus anerythrus et Heliosciurus sp.

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Le nom de la variole du singe est trompeur

Où se trouve le singe ?

Et le singe dans tout ça ? Malgré le terme de “variole du singe” utilisé pour désigner la maladie et celui d’”orthopoxvirus simien” pour désigner le virus responsable, le singe peut plaider son innocence. Il n’est pas responsable de la transmission chez l’homme, car il n’est ni une espèce réservoir ni un hôte amplificateur, c’est-à-dire une espèce animale qui multiplie une charge infectieuse ou parasitaire suffisante pour être transmissible.

Cependant, le singe, du moins certaines espèces de singe, peut développer des symptômes de la maladie. En observant et en analysant des lésions cutanées présentes chez des macaques crabiers en captivité, des chercheurs danois ont isolé et identifié la variole du singe pour la première fois en 1958.

Ce n’est qu’en 1970 que le virus a ensuite été identifié chez l’homme à l’hôpital de Basankusu (République démocratique du Congo, ex-Zaïre). Depuis lors, le virus continue de circuler dans différentes régions de l’Afrique de l’Ouest et provoque régulièrement des épidémies locales. En 2003, une brève épidémie a également touché les États-Unis. Elle a été importée du Ghana par plusieurs espèces de rongeurs sauvages, dont les rats de Gambie. Ces rats auraient contaminé des chiens de prairie dans des animaleries, qui ont à leur tour été à l’origine de l’épidémie chez l’homme.

Il est donc probable que le terme “variole du singe” soit trompeur, ce qui explique pourquoi il tend à être remplacé dans les médias français à destination du grand public non anglophone par “monkey pox” ou même “MKP”.

Le nom des maladies, un enjeu social, diplomatique et politique

Aujourd’hui, grâce aux énormes progrès réalisés en microbiologie ces dernières années, le choix des noms des virus et des maladies est plus scientifique et rigoureux. Les noms des virus sont décidés par l’International Committee on Taxonomy of Viruses (Comité international de taxonomie des virus), qui suit la phylogénie des virus. C’est ainsi que nous avons obtenu des noms tels que le désormais très (trop) célèbre SARS-CoV-2.

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L’OMS est responsable du choix des noms des maladies émergentes, en veillant à ne stigmatiser aucun pays, région ou communauté, ni à créer des raccourcis qui pourraient prêter à confusion.

Cela a d’ailleurs été le cas en 2009 lors de l’épidémie de grippe A-H1N1, communément appelée à tort “grippe porcine”. Un article de l’époque évoque les erreurs taxonomiques. En effet, bien que le virus n’ait jamais été isolé chez des animaux, encore moins chez des porcs, plusieurs organisations de producteurs de porcs estimaient que ce terme nuisait à leur secteur et pouvait entraîner des pertes financières.

De plus, ce terme posait également problème en Israël : en hébreu, “grippe porcine” se traduit littéralement par “grippe des porcs”, or dans la religion juive, le porc est considéré comme un animal impur. Le ministre de la Santé israélien avait alors proposé de parler de “grippe mexicaine” afin de ne pas avoir à prononcer le nom de la bête. Une appellation à laquelle s’opposa fermement le Mexique, par le biais de ses ambassades, notamment françaises et israéliennes, en adressant un communiqué à la presse : “L’utilisation de ce type de dénomination est discriminatoire et nuit à l’image d’un pays qui lutte rapidement et efficacement contre la propagation de ce virus, et dont la stratégie a été reconnue par plusieurs États et organismes, tels que l’OMS et l’Organisation panaméricaine de la santé.”

C’est donc le terme plus neutre et consensuel de “grippe A” qui a été retenu.

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