Le plan de Deezer pour (enfin) sortir de l’ombre de Spotify

Le plan de Deezer pour (enfin) sortir de l’ombre de Spotify

Ils possèdent la même sélection d’artistes, fonctionnent de la même manière et ont presque le même nombre d’années d’expérience. Pourtant, l’écart entre Spotify et Deezer est abyssal. Alors que le géant suédois revendique désormais 406 millions d’utilisateurs, dont 180 millions sont des utilisateurs payants, le français n’en recense que 16 millions, dont un peu moins de 10 millions sont des utilisateurs payants. Ce retard est frustrant pour les dirigeants du joyau français, car en réalité, l’offre de Deezer n’a rien à envier à celle de Spotify. Pour combler ce fossé, la plateforme française se jette à l’eau. Le 18 avril dernier, Deezer a annoncé sa fusion avec le véhicule d’investissement I2PO, en vue de son introduction en bourse cet été.

Les défis qui attendent Deezer

Peut-il finalement nager de ses propres ailerons et sortir de l’ombre du géant Spotify? Chez I2PO, c’est une certitude. “Le marché du streaming audio est largement sous-exploité et est en pleine expansion. Il devrait croître de 20% chaque année au cours des cinq prochaines années. Deezer possède tous les atouts pour profiter d’une grande partie de cette croissance”, affirme Iris Knobloch, présidente du conseil d’administration et directrice générale d’I2PO. Cependant, Deezer devra relever de nombreux défis sur son chemin. Tout d’abord, le contexte économique actuel remet en question la pertinence même du modèle économique des plateformes de streaming audio. L’inflation met en difficulté certains géants du divertissement dont les produits ne sont pas considérés comme des biens de première nécessité. Netflix en a fait l’amère expérience en début d’année (pour la première fois depuis dix ans, le nombre total de ses abonnés a diminué). De plus, l’incertitude économique causée par la crise sanitaire et le contexte géopolitique rend les investisseurs plus méfiants à l’égard des entreprises technologiques, notamment celles dont le modèle économique n’a pas encore démontré sa viabilité.

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Dans le domaine du streaming vidéo, les dépenses folles engagées dans la course aux productions originales commencent à susciter des questions. Mais pour la musique, la situation est encore plus délicate car les plateformes n’ont pas la propriété des titres et proposent donc toutes, plus ou moins, la même sélection. “Étant donné qu’elles ne peuvent pas se différencier sur ce point, elles se retrouvent prises en étau entre les détenteurs des droits et le public. Résultat : il leur est très difficile d’augmenter leurs tarifs et elles réalisent peu, voire pas, de bénéfices”, analyse Pierre Harand, associé et directeur Europe-Asie du cabinet de conseil fifty-five. D’ailleurs, l’action du leader Spotify a chuté de plus de 50% en un an.

Deezer doit également faire face à quelques handicaps. Tout d’abord, la taille de ses concurrents leur donne plus de moyens pour se démarquer : Spotify s’est positionné dans le créneau populaire des podcasts (même s’il s’est montré un peu trop dépensier dans ce domaine) et Apple Music, adossé à la riche entreprise à la pomme, offre une option audio de meilleure qualité que ses concurrents (bien que la différence ne soit perceptible que sur un matériel d’écoute de puriste).

Les atouts de Deezer

En plus de ces complexités, Deezer doit également verser une commission de 30% à Apple, son concurrent direct, lorsque ses clients souscrivent à un abonnement payant via l’application iOS. Cette situation devrait toutefois bientôt changer sous la pression des instances européennes, qui estiment que ces pratiques nuisent à une concurrence saine : le Digital Market Act imposera aux plateformes, telles qu’Apple, de permettre aux développeurs d’orienter les clients vers des solutions de paiement tierces.

Néanmoins, la licorne française possède des atouts indéniables pour développer ses activités dans le streaming audio. Son produit est technologiquement très abouti et rivalise sans problème avec ce que propose Spotify. En outre, Deezer est un pionnier du secteur et a réussi à se constituer une solide clientèle en France, où il est leader. “On pourrait penser que c’est une victoire facile, mais c’est un réel exploit. Par exemple, le français Dailymotion a été complètement dépassé par l’américain YouTube”, rappelle Pierre Harand du cabinet de conseil fifty-five.

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Récemment, Deezer a retrouvé des couleurs. “Nous avons renoué avec une croissance à deux chiffres depuis le début de l’année”, souligne Stéphane Rougeot, directeur financier de Deezer. De plus, le groupe travaille sur de nouvelles sources de revenus. “Nous explorons le lancement d’applications connexes sur lesquelles nous pourrions proposer des offres croisées. Cela pourrait inclure, par exemple, des applications de méditation, de karaoké ou de formation qui ne seraient pas intégrées à Deezer, mais qui auraient une architecture similaire”, explique Stéphane Rougeot.

Les fonds apportés par la fusion avec I2PO (135 millions d’euros entièrement sécurisés) permettront à la licorne de galoper encore plus rapidement. Il est impératif pour elle de se renforcer à l’international. “Étant donné que le marché suédois est plus petit que le marché français, Spotify s’y est lancé plus tôt que Deezer et y est désormais mieux implanté”, explique Pierre Harand. Cela donne à Spotify un avantage énorme pour continuer à se développer, car il dispose logiquement de plus de données sur les goûts musicaux des utilisateurs d’autres pays que Deezer.

“Avoir cette finesse d’analyse fait une grande différence”, confie Pierre Harand. En France, par exemple, la scène country américaine est méconnue, bien qu’elle soit très populaire aux États-Unis et qu’elle regorge de nombreux sous-genres de country. Pour plaire à la frange d’Américains qui apprécie cette musique, il faut être en mesure de leur faire des recommandations pointues, plutôt que de se contenter des tubes connus de tous. Et ces préférences locales se retrouvent bien sûr dans chaque pays.

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Un réseau international précieux

Une fois de plus, la fusion avec I2PO devrait aider. “Nous apportons non seulement du capital à Deezer, mais nous lui apportons également notre réseau dans le marché mondial du divertissement”, explique Iris Knobloch. Et le carnet d’adresses de cette allemande, qui a travaillé onze ans chez Warner et vient d’être nommée présidente du festival de Cannes, est bien fourni. C’est d’ailleurs l’un des éléments qui a joué en sa faveur lors de sa nomination à la succession de Pierre Lescure. L’expérience solide de Deezer dans les partenariats devrait également aider le groupe à se développer à l’international. “Spotify n’a pas investi dans ce créneau, et les plateformes soutenues par des géants du web, comme Apple Music ou Amazon Music, ne peuvent pas le faire, car elles font déjà partie d’une offre plus globale”, analyse Stéphane Rougeot, directeur financier de Deezer.

Deezer est donc le candidat idéal pour les groupes de télécommunications ou les médias qui souhaitent rendre leurs produits plus attractifs grâce à des offres combinées (internet et musique, presse et musique, etc.). Il a déjà conclu de nombreux accords de ce type par le passé avec Orange, Fnac Darty et SFR en France, ainsi qu’avec Globoplay au Brésil. Le groupe développe actuellement un nouveau partenariat avec RTL Allemagne, qui devrait renforcer sa présence sur ce marché européen majeur à moindre coût. Ce qui est certain, c’est que le potentiel de cette licorne tricolore a convaincu les décideurs de haut niveau. Au cœur de la future introduction en bourse de Deezer, les bonnes fées se nomment François-Henri Pinault, Matthieu Pigasse ou encore Xavier Niel. Des experts du business qui ont souvent transformé tout ce qu’ils touchent en or.