L’annonce du bannissement des voitures à moteur thermique et l’éventuelle interdiction de leur vente envahissent les médias. Mais les fondements techniques, économiques, sociaux et environnementaux de tels projets sont sujets à doute.
L’opinion de Philippe Casse
Depuis l’invention de l’automobile dans les années 1880, il existe un marché pour les voitures électriques. En 1900, environ 20 000 véhicules électriques (VE) représentaient la moitié du parc automobile mondial.
À cette époque, le coût des moteurs à essence, des boîtes de vitesses et des embrayages dépassait largement celui des composants des VE, dont la conduite était beaucoup plus simple. La production en grande série de voitures à essence et leur autonomie illimitée ont conduit à l’abandon des VE, à quelques utilisations spécifiques près, comme la livraison de lait frais en Grande-Bretagne.
La Première Guerre mondiale, première guerre motorisée de l’histoire, a quasiment relégué les VE aux oubliettes… pendant presque un siècle.
Un marché pour les véhicules électriques (VE)
Il existe indéniablement un marché pour les VE. Les déplacements professionnels en milieu urbain, notamment captifs, en sont la principale base potentielle. Certains particuliers peuvent également les utiliser s’ils évitent les inconvénients mentionnés ci-dessous.
Quant aux véhicules hybrides, ils peuvent être essentiels pour pénétrer en ville lorsque l’accès aux véhicules thermiques y est interdit. Cependant, ils sont économiquement absurdes et leur consommation et leurs émissions de CO2 en usage courant sur la route sont bien plus élevées que celles de leurs équivalents non hybrides.
L’annonce du bannissement des voitures à moteur thermique, voire de leur interdiction de vente, envahit les médias alors que les fondements techniques, économiques, sociaux et environnementaux de tels projets sont sujets à doute.
On a l’impression d’une surenchère sans qu’aucune voix ne s’élève pour ramener les politiciens à un peu de raison. On peut craindre que nos dirigeants ne comprennent pas du tout les conséquences de leurs déclarations.
“Green washing”
Il est vrai que les autorités font un “green washing” à moindre coût car cela est politiquement moins risqué que d’obliger tous les propriétaires à isoler leur maison, par exemple.
Face à l’interdiction des moteurs thermiques et au “règne absolu de la voiture électrique”, on pourrait répondre par une expression tout aussi provocante : “la grande illusion !”
Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est impossible de remplacer l’ensemble des voitures à moteur thermique (soit environ 1,25 milliard de véhicules) par des VE. Ceci est impossible avec certitude pour les VE à batteries et quasi impossible pour les VE à piles à combustible.
1. C’est impossible techniquement
Si l’ensemble du parc automobile belge (soit 5 750 000 véhicules) était électrique, la production électrique de notre pays devrait augmenter de 30 % ! Est-ce possible avec la fermeture des centrales nucléaires ?
Ces annonces oublient également qu’il n’existe pas encore de recyclage circulaire efficace des batteries au lithium-ion, et que les seuls carburants efficaces connus pour les VE à piles à combustible sont l’hydrogène et le méthanol.
De plus, il n’existe pas actuellement d’alternative électrique pour les camions lourds. Sans oublier que dans de nombreux endroits dans le monde, il n’y a pas d’électricité disponible, ou les distances sont trop grandes et les temps de parcours incertains entre deux bornes de recharge. De plus, la consommation varie considérablement en fonction de la conduite, de la température et du profil de la route.
2. C’est impossible sur le plan environnemental
Malgré les efforts de notre pays pour produire de l’électricité renouvelable, l’efficacité énergétique des VE à batteries, et donc leur production de CO2 liée à la construction, à l’utilisation et au recyclage en fin de vie, est au mieux équivalente à celle d’une voiture diesel comparable.
En dehors de la Norvège, aucun pays européen ne produit suffisamment d’électricité renouvelable pour atteindre une efficacité énergétique supérieure à celle d’une voiture diesel comparable pour les VE à batteries. Déplacer la production de CO2 de la voiture vers une centrale électrique est donc une illusion de bienfait ! De plus, les VE émettent environ la moitié des particules fines des voitures diesel équivalentes (usure des freins, des pneus, etc.) ou des voitures à essence équipées de moteurs à injection directe.
3. C’est impossible sociologiquement
Tout d’abord, les deux tiers du parc automobile belge sont stationnés dans la rue, soit environ 3 800 000 véhicules. La Commission européenne demande à la Belgique de n’installer que 21 000 bornes de recharge dans la rue.
Ensuite, près de la moitié des foyers belges ne veulent ou ne peuvent avoir qu’une seule voiture, qui doit donc répondre à tous les besoins de mobilité automobile de la famille. Ceci est particulièrement vrai pour les trajets sans alternative modale, comme de nombreux déplacements longue distance à plusieurs avec des bagages. Impossible également d’imaginer la recharge simultanée de milliers de VE sur la même route des vacances.
Enfin, il existe un nombre non négligeable de professionnels qui parcourent de longues distances toute la journée et n’ont pas le temps de s’arrêter et de recharger les batteries.
4. C’est impossible fiscalement
Bien que nos gouvernants ne manquent pas d’imagination dans ce domaine, combien de temps durera le cadeau fiscal de l’amortissement à plus de 100% d’un VE, sachant que nous avons connu la saga des certificats verts en Wallonie ?
De plus, chaque VE supplémentaire dans le parc automobile équivaut à un véhicule thermique en moins ! Comment l’État compensera-t-il la perte de taxes et d’accises sur le carburant (environ 5 milliards d’euros) qui n’est plus consommé par les VE ? Les nombreux avantages offerts ou promis aux utilisateurs de VE (comme l’utilisation des voies de bus, l’exemption des péages urbains et du stationnement) deviendront vite impossibles si le nombre de VE augmente comme le souhaitent nos dirigeants.
En conclusion…
On ne parle jamais de la différence de consommation entre un conducteur respectueux de l’environnement et un autre qui ne l’est pas. On peut facilement démontrer que cette différence est au maximum de 50% pour les voitures diesel et peut atteindre 100% pour les voitures essence. Mais pour les VE, elle peut atteindre jusqu’à 200% (soit le triple de la consommation), sans compter la consommation supplémentaire du chauffage ou de la climatisation, ainsi que les redémarrages en côte.
Dans ces conditions, on peut affirmer que l’annonce du règne dominant ou absolu de la voiture électrique et la disparition totale du diesel relèvent soit de l’illusion, soit du mensonge. Mais cela aura en tout cas deux victimes : le consommateur et l’environnement ! Surtout lorsque l’on sait que les progrès dans les moteurs thermiques continuent à s’accélérer.
Qui aura l’audace, le culot et surtout la crédibilité d’interpeller les autorités sur ce sujet ? On peut craindre que cela ne vienne ni de l’industrie automobile, ni des producteurs d’électricité. À quand un groupe de professeurs d’universités prêt à monter au créneau ?
Note de la rédaction : Qui est Philippe Casse ?
Ingénieur commercial de formation, Philippe Casse a été responsable des relations publiques de D’Ieteren de 1991 à 2012. Aujourd’hui retraité, il se définit comme historien de l’automobile. En effet, notre contributeur siège dans diverses commissions et fédérations liées à l’automobile et à son histoire.
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