L’eau vive de la Samaritaine

L’eau vive de la Samaritaine

Dans l’Évangile, les enseignements les plus profonds se cachent souvent dans les circonstances les plus banales. Aujourd’hui, Jésus rencontre une femme au puits de Jacob, fatigué de sa marche dans le désert. Il lui demande simplement à boire, un geste si naturel. On pourrait penser qu’il est un homme “comme nous”, connaissant la fatigue et la chaleur de la journée.

Mais Jésus n’est pas un homme “comme nous”. Bien qu’il ait assumé une nature humaine semblable à la nôtre, il reste le Verbe de Dieu, le Fils éternellement engendré du Père. Ainsi, lorsque Jésus prononce ces mots ordinaires : “Donne-moi à boire”, c’est Dieu lui-même qui, à travers le Christ, révèle une partie de son mystère et du nôtre. D’ailleurs, à l’approche de la Passion du Christ, il est impossible de réduire cette rencontre au puits de Jacob à un simple fait divers. Nous savons que l’une des dernières paroles que Jésus a prononcées, criées même depuis la Croix, est : “J’ai soif”. Est-il possible que Dieu, qui est la plénitude même, manque de quelque chose pour dire, en la personne du Christ : “J’ai soif” ?

Le dialogue entre Jésus et la femme samaritaine prend rapidement un tournant étonnant. Alors qu’il lui a demandé à boire, il lui offre une eau vive qui apaise toute soif. Elle lui demande alors : “Seigneur, donne-la moi, cette eau”. Au lieu de lui répondre, Jésus l’amène à lui confier les deux drames de sa vie. D’abord, son échec matrimonial : “Je n’ai pas de mari”. Puis sa détresse religieuse : elle ne sait pas où adorer Dieu ; les écoles s’opposent entre la montagne et Jérusalem. Ce bref échange avec Jésus met en lumière les deux obstacles majeurs qui empêchent cette femme de rejoindre Dieu. Sans la juger, Jésus l’a amenée à reconnaître humblement les deux impasses de sa vie, les deux soifs perpétuellement insatisfaites qui rendent son existence malheureuse.

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Cette femme samaritaine est l’incarnation de l’humanité livrée à elle-même, victime de son désordre et de son péché. Pour l’homme qui se trouve abandonné à ses propres forces, il est impossible d’atteindre l’amour conjugal véritable et l’amour de Dieu, l’éros et l’agapè. C’est là l’effet du péché originel en nous : il nous condamne au désordre, à un désordre amoureux et religieux, il maintient en nous une soif inextinguible, empêchant l’homme, homme ou femme, d’atteindre la plénitude de l’amour pour laquelle il a été créé et qui lui manque cruellement.

Et c’est précisément à ce moment-là que Jésus intervient. Il vient à notre rencontre avec les prétextes les plus anodins et nous amène à confesser notre soif, notre soif d’aimer qui reste toujours insatisfaite car aucun être humain ne peut guérir cette blessure originelle, à moins que ce ne soit Dieu lui-même. L’eau vive que Jésus promet à la Samaritaine, qu’il nous promet, c’est l’Esprit Saint qui coulera de son cœur transpercé sur la Croix, l’amour divin seul capable d’apaiser notre soif d’aimer Dieu et notre soif d’aimer les hommes. Voilà le sens de notre Carême : nous remettons à Dieu nos limites, nous lui offrons nos cœurs brisés et humiliés, nous lui crions notre soif. Cela n’est pas facile, car nous cherchons par tous les moyens à combler les brèches de nos cœurs, empêchant ainsi l’eau vive de les pénétrer. Notre monde excelle à nous offrir mille échappatoires qui nous font fuir notre misère, mille boissons vinaigrées qui ne peuvent étancher notre soif. Si le Carême demande un véritable effort, c’est celui qui nous pousse à confesser devant Dieu notre misère, notre soif, et à implorer son secours.

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Ainsi, la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, la rencontre de Jésus avec chacun de nous prend tout son sens. C’est un échange de deux soifs. La Samaritaine a soif de pouvoir aimer et adorer, Jésus a soif de pouvoir communiquer son amour. C’est le sens de sa soif au puits de Jacob, c’est le sens de son cri de soif au Golgotha. En révélant sa soif à la Samaritaine, Jésus lui a révélé la sienne ; en l’apaisant, il lui montre comment apaiser celle qui l’habite. Ce qui manque à Dieu ne peut venir que de nous : nous devons accueillir l’amour qu’il désire nous communiquer. En prenant le risque de la création, Dieu a pris le risque de voir notre réponse le frustrer.

Au XIIIème siècle, Sainte Gertrude de Helfta, une grande mystique allemande, a exprimé cette soif de l’âme dans un célèbre poème. Voici quelques vers de ce poème :

En Toi, Cœur de Jésus, en Toi, mon Cœur trouve refuge.
Notre monde se meurt, notre monde Te perd,
Pourtant, notre monde Te cherche tant il a soif de Toi.

En Toi, Cœur de Jésus, j’apaise ma soif.
Le monde se dessèche car il est sans amour.
Le monde a soif d’amour, sans même le savoir.

Alors je viens vers Toi, Jésus, dans ton Cœur je me réfugie,
Ton Cœur est rempli d’Amour et de Miséricorde.
Alors je viens vers Toi, la Source de l’Amour,
La source de la paix,
Tes fleuves d’eau vive, en apaisant ma soif,
Me comblent de ta Vie.