L’électrique : l’avenir de la voiture ou de la mobilité ?

L’électrique : l’avenir de la voiture ou de la mobilité ?

Aller au travail, faire les courses, partir en vacances, récupérer les enfants à l’école, acheter du pain… Souvent, la solution la plus simple est de prendre sa voiture et de partir. Comment la voiture est-elle devenue un outil central de nos déplacements ? Et surtout, comment pouvons-nous sortir de cette dépendance, alors que la transition énergétique nous pousse à décarboner les transports ?

Dans son livre “Voitures” à paraître prochainement aux éditions Tana, Aurélien Bigo, chercheur associé à la chaire Énergie et Prospérité et spécialiste de la transition énergétique des transports, aborde tous ces enjeux. Il souligne également que la voiture électrique n’est pas la solution magique à tous nos problèmes. Voici ses réponses à 20 Minutes.

L’ère de l’hypermobilité

Comment décrivez-vous l’ère de l’hypermobilité dans laquelle nous vivons aujourd’hui ?

Les distances parcourues sont beaucoup plus longues qu’il y a deux siècles. En moyenne, nous effectuons trois trajets par jour et nous y passons environ une heure. Avec notre vitesse multipliée par dix, les distances parcourues ont également augmenté. Les Français parcourent ainsi en moyenne 26 kilomètres par jour pour leurs déplacements quotidiens, comme le trajet domicile-travail. Si l’on ajoute les déplacements longue distance plus occasionnels, nous nous approchons plutôt de 50 kilomètres par jour. C’est ce que nous appelons l’hypermobilité : une ouverture des horizons rendue possible par l’accélération des modes de transport motorisés au cours des 70 dernières années, des avions aux trains à grande vitesse en passant par les bateaux et les voitures.

La voiture, reine des déplacements

La voiture domine-t-elle cette mobilité ?

Absolument. Elle est aujourd’hui utilisée pour les deux tiers de nos trajets. Elle est au cœur de nos déplacements et cela s’est joué après la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes passés d’une voiture pour 25 habitants en 1950 à une voiture pour deux en 2000. Bien sûr, la voiture présente de nombreux avantages : des trajets rapides et pratiques de porte à porte. Mais cette explosion de la voiture a été rendue possible par l’augmentation du niveau de vie des ménages et l’accès à du pétrole abondant et bon marché pendant longtemps. De plus, nos politiques publiques ont également favorisé l’utilisation de la voiture, que ce soit en termes de fiscalité, de réglementation, d’aides publiques à l’industrie automobile ou encore de construction d’infrastructures routières. Nous avons adapté l’espace public à ce mode de transport. Sans autoroutes, il y aurait beaucoup moins de déplacements longue distance en voiture.

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Les conséquences de cette dépendance

Est-ce que cette dépendance à la voiture a un coût ?

Oui, et nous ne réalisons pas toujours tous les impacts négatifs qui en découlent. Nous avons tendance à se concentrer uniquement sur les enjeux climatiques et les émissions de gaz à effet de serre générées par les voitures. Il s’agit d’un enjeu crucial, mais il existe d’autres conséquences. Par exemple, la fabrication d’une voiture nécessite l’extraction de ressources et de matières premières. La voiture occupe également beaucoup d’espace : en France, il y a 1,1 million de kilomètres de routes et de nombreuses places de stationnement. Ces espaces empiètent sur la nature, ce qui a un impact majeur sur la biodiversité et fragmente les territoires. L’artificialisation des sols rend également l’adaptation au changement climatique plus compliquée, car la surface foncée des infrastructures routières absorbe la chaleur et aggrave les îlots de chaleur urbains.

La voiture est également un enjeu social. Posséder une voiture coûte en moyenne 4 000 euros par an. Elle n’est pas accessible à tous. De plus, elle a des conséquences sur notre santé en raison de la pollution sonore, de l’air et de la sédentarité. Nous avons souvent éliminé les efforts physiques de notre quotidien, si bien que les déplacements en voiture ne nous offrent pas la possibilité de faire de l’exercice. Enfin, il ne faut pas oublier les accidents de la route qui, bien qu’ils aient diminués depuis les années 1970, sont encore responsables d’environ 3 000 décès par an en France.

La voiture électrique, la solution miracle ?

Peut-on affirmer avec certitude que la voiture électrique est l’avenir de l’automobile ?

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Dans le contexte actuel où le changement climatique est notre principal défi, la voiture électrique représente effectivement l’avenir de l’automobile. Certes, la fabrication d’une voiture électrique et de sa batterie émet actuellement plus de gaz à effet de serre que celle d’une voiture thermique. Cependant, lors de son utilisation, le bilan s’inverse nettement. En France, sur l’ensemble de son cycle de vie, qui dure environ quinze ans entre sa fabrication et sa mise au rebut, une voiture électrique émet deux à cinq fois moins de gaz à effet de serre qu’une voiture à essence ou diesel.

Cela ne signifie pas pour autant qu’elle est “zéro émission”, une expression trompeuse souvent entendue. De plus, cela ne signifie pas non plus qu’elle est la réponse pertinente à tous les problèmes. La fabrication d’une voiture électrique consomme davantage de ressources minérales et contribue davantage à la toxicité des eaux. Elle occupe également autant d’espace qu’une voiture traditionnelle. Même en ce qui concerne la pollution de l’air, elle n’apporte qu’une réponse partielle. En effet, 59 % des particules fines émises par les voitures ne proviennent pas de l’échappement, mais de l’usure des freins et des pneus. Que la voiture soit électrique ou thermique, cela ne change pas grand-chose.

Redéfinir la mobilité de demain

Devons-nous simplement remplacer nos 38 millions de voitures thermiques par des voitures électriques ?

Ce serait la pire des erreurs. Si la voiture électrique représente l’avenir de l’automobile, celle-ci ne doit pas définir l’avenir de la mobilité. Nous devons lui redonner sa place légitime et ne plus la considérer comme l’outil universel de nos déplacements. C’est un paradoxe : la voiture est conçue pour transporter cinq personnes, roule jusqu’à 180 km/h et peut parcourir plusieurs centaines de kilomètres d’autonomie. Pourtant, nous l’utilisons le plus souvent pour des trajets quotidiens de moins de dix kilomètres, seuls et à moins de 80 km/h… À l’avenir, nous devrons examiner précisément nos besoins en termes de mobilité : quelle distance parcourir ? À quelle fréquence ? Quelle charge transporter ? Combien de passagers ? Ensuite, nous devrons proposer une variété de solutions alternatives à la voiture. Les possibilités sont déjà nombreuses : marche à pied, vélo, transports en commun, train, covoiturage, autopartage, sans oublier les véhicules intermédiaires, qui se trouvent entre le vélo et la voiture et commencent à se développer en France. Soyons clairs : la voiture ne va pas disparaître, mais nous devons passer d’une utilisation pour les deux tiers de nos trajets à une utilisation pour seulement un tiers.

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Avancer dans la bonne direction

Faisons-nous des progrès dans cette direction ?

Il y a quelques avancées, mais nous ne pouvons pas dire que nous en sommes encore à “tout pour l’automobile”. Par exemple, une des premières étapes pour sortir de la dépendance à la voiture consiste à réduire les distances. Cela passe notamment par un meilleur aménagement du territoire qui rapproche les lieux de vie, de travail et de consommation. L’objectif de zéro artificialisation nette fixé par la France pour 2050 va dans ce sens en encourageant une réflexion plus poussée sur la place accordée à la voiture. Des investissements sont également réalisés et à venir pour développer le vélo, le rail, le covoiturage… Cependant, les montants alloués restent encore insuffisants. De plus, en parallèle, nous continuons en France à investir dans des modes de transport polluants et à encourager l’hypermobilité. Des projets d’extension d’aéroports, de contournements routiers ou encore de nouvelles autoroutes sont toujours d’actualité. Il manque encore une cohérence globale dans les politiques de transport.

Article original source: 20 Minutes