Trente à 50% de la population luttent contre l’insomnie, tandis que la durée moyenne de nos nuits a raccourci d’une heure, voire 1h30 en 50 ans. Pourquoi dort-on moins, voire pas ? Réponses en 7 points.
Des nuits troublées
« Le dernier refuge de l’insomniaque est un sentiment de supériorité sur le monde endormi », assurait le chanteur Leonard Cohen. De l’ironie, évidemment, car pour les personnes qui, comme lui, subissent des nuits trouées, c’est un maigre réconfort, une piètre consolation. Les nuits de Valérie Buisson, 45 ans, sont chaotiques depuis octobre dernier. Elle s’endort, souvent difficilement, mais elle s’endort. Presque aucune nuit blanche, mais fréquemment un réveil vers 4 heures du matin sans parvenir à se rendormir malgré la fatigue. «Et puis, à nouveau, ce sont des journées horribles. Je pique du nez devant l’ordinateur chaque début d’après-midi ou je pars en vrille à la moindre contrariété.»
La plupart des insomnies chroniques commencent par une “anxiété de performance”, la crainte de ne pas dormir.
Evidemment, il arrive de ne pas dormir, ou trop peu. Mais de quoi parle-t-on lorsqu’on évoque l’insomnie? Il n’existe pas une, mais des insomnies. Elles sont de deux types : l’aiguë – ponctuelle, transitoire – et la chronique, qui s’entête, qui peut durer des années. La première est celle au cours de laquelle on rumine parce qu’on a des soucis, qu’il s’agisse d’aléas circonstanciels, d’une rupture brutale ou d’un deuil. Parfois, l’anticipation anxieuse d’un événement jugé important, heureux ou malheureux, peut produire une difficulté d’endormissement. L’attente d’un départ en vacances comme l’appréhension d’un examen à venir sont des exemples fréquents.
Les 7 causes de l’insomnie
- Dans tous les cas, le stress et l’anxiété sont responsables de ces insomnies passagères, qui ne dépassent guère quelques jours, au pire deux, trois semaines.
- Le «mal dormir» peut avoir d’autres origines, variables. Le sommeil a rarement été si malmené, avec en premier lieu le bruit, très présent dans les villes.
- Ensuite, il y a la luminosité. La lumière urbaine qui entre dans les maisons, les appartements ; l’éclairage à l’intérieur, qui prolonge la lumière du soleil le soir ; les led, très enrichis en bleu (les longueurs d’onde de lumière bleue sont nécessaires le matin pour synchroniser l’horloge biologique, pour leurs effets antidépresseurs et stimuler la vigilance), des smartphones, des ordinateurs, des télévisions… «La lumière est sans doute le plus puissant perturbateur endocrinien!», déclare Steven Laureys, neurologue et directeur du Centre du cerveau au CHU de Liège. D’un rythme d’un peu plus de 24 heures, l’horloge biologique interne se resynchronise en effet tous les jours grâce à la lumière captée par les récepteurs photosensibles non visuels de la rétine, les cellules à mélanopsine. Qui, elles-mêmes, envoient un message à l’hypothalamus, siège de l’horloge circadienne centrale et chef d’orchestre dans la sécrétion de différentes hormones, dont la mélatonine, qui participe à l’endormissement. Cette hormone du sommeil est libérée en cas d’obscurité, à la tombée de la nuit, avec en général un pic vers 3 heures du matin. Or, trop de lumière trop tard dans la journée envoie un mauvais signal à l’hypothalamus, qui retarde la sécrétion de la mélatonine. Un décalage de l’engrenage moléculaire peut alors entraîner des insomnies.
- Il existe par ailleurs ce qu’on appelle le «jet-lag social», un écart entre le rythme de vie et l’horloge biologique. Difficile de résister, cependant. Chaque décennie a d’ailleurs apporté une nouveauté empiétant sur le temps de sommeil. Depuis les années 1960, les couchers sont de plus en plus tardifs. Entre le boulot et le dodo, les soirées s’allongent. Tout ce temps est pris sur le temps de sommeil. «Dans nos sociétés, les loisirs sont devenus prépondérants, en valeur et en durée. Nous voulons des activités culturelles, de la convivialité: le sommeil vient après», note l’historien français André Rauch, spécialiste de l’histoire culturelle. Une société qui nous tient plus que jamais en éveil. Smartphone, séries, horaires de travail à rallonge ou décalés, e-shopping 24 heures sur 24… «On estime qu’un tiers des adultes dort, volontairement ou non, moins de six heures par nuit», précise Steven Laureys.
- Le mal dormir de longue durée peut être causé par d’autres pathologies, une apnée, un syndrome des jambes sans repos, une grande anxiété ou une dépression – bien que des experts estiment qu’elle puisse être la conséquence et non la cause. Il peut avoir une origine organique, un trouble neurologique (Parkinson ou Alzheimer), une douleur rhumatologique, un problème endocrinien, un trouble respiratoire (asthme, bronchite chronique) ou cardiaque (tachycardie, trouble du rythme).
- Sans oublier les insomnies médicamenteuses ou toxiques, tels les corticoïdes, les bêtabloquants, l’abus d’alcool ou de café…
- Enfin, c’est un cercle vicieux: ne pas réussir à dormir provoque de l’anxiété qui inhibe le lâcher-prise nécessaire au repos. «La crainte de ne pas dormir ajoute ce qu’on appelle une “anxiété de performance”, c’est-à-dire du stress, à l’hyperéveil. C’est ainsi que commencent la plupart des insomnies chroniques», souligne Eus van Someren, éminent spécialiste de l’insomnie et professeur en neurosciences à l’université d’Amsterdam. Après plusieurs nuits laborieuses, un insomniaque finit par perdre confiance en sa capacité naturelle à dormir. Les heures précédant le coucher sont source d’angoisse pour Valérie Buisson. «J’ai toujours l’espoir de m’endormir vite et jusqu’à la sonnerie du réveil. Je me mets la pression car j’anticipe la fatigue du lendemain.»