Les jeux d’Aberkane : Mythe ou réalité ?

Les jeux d’Aberkane : Mythe ou réalité ?

Cet article vise à compléter le fact-checking de la Menace Théoriste concernant Idriss Aberkane. On pourrait dire que je profite de la tendance du moment, ce qui n’est pas totalement faux, car j’ai entrepris ces recherches après avoir pris connaissance des critiques remettant en question I. Aberkane. Je souhaite partager ces critiques dans cet article, en me concentrant sur les sociétés fondées par I. Aberkane.

Idriss Aberkane

Idriss Aberkane est un conférencier (scientifique ?) qui se présente comme un « hyperdoctor » ou un « neurogeek » en raison de ses trois doctorats, dont un en neuroscience. Cependant, il fait l’objet d’une certaine polémique concernant de nombreux points de son discours, en particulier son CV dans lequel il a clairement menti, remettant en question sa réputation de “scientifique”. L’article de la Menace Théoriste présente très bien cette polémique.

Ce qui m’intéresse particulièrement ici, ce sont les affirmations d’I. Aberkane concernant ses sociétés. Il en présente deux : Scanderia et Eirin International SARL. L’article de fact-checking mentionné ci-dessus est un peu lacunaire à leur sujet, ne permettant pas réellement de se prononcer sur leur existence (ou inexistence), et c’est ce que je vais tenter de faire ici, en gardant à l’esprit la nécessité de nuances.

Scanderia

I. Aberkane présente l’entreprise Scanderia comme une société productrice et éditrice de “serious games”, des jeux vidéo conçus pour l’apprentissage. Ceux de Scanderia sont censés être basés sur la neuroérgonomie, un concept promu par I. Aberkane lors de ses conférences pour favoriser un apprentissage optimal. Ils font également partie du processus de la Renaissance numérique.

En dehors de son site, qui est plutôt succinct, l’entreprise existe bel et bien et a été fondée par I. Aberkane et Serge Soudoplatoff, qui en ont également assuré la direction. On peut vérifier son existence ici. Cependant, elle ne compte aucun employé, comme en atteste ce site.

La mission de Scanderia est décrite comme suit :

La mission de Scanderia est de créer une nouvelle industrie : le “Proud to Play”.
Alors que le choix actuel se situe entre des jeux amusants mais inutiles, ou des jeux sérieux mais ennuyeux, Scanderia se concentre sur le plaisir ET l’éducation.
En utilisant les dernières découvertes en neurosciences, nous développons des jeux qui permettent de s’amuser et d’apprendre en même temps.

Je n’ai trouvé mention que de trois jeux affiliés à l’entreprise : Logos, kFlow et Quark.

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Logos

Un jeu pour apprendre les langues qui serait en cours de développement chez Scanderia. On ne trouve de traces de ce jeu que dans le magazine Le Point n°2198 I du 30 octobre 2014 : “Comment muscler son intelligence”, où il est décrit ainsi :

Fin décembre sortira sur iOS “Logos”, un jeu brain-friendly destiné à l’apprentissage des langues, développé par Scanderia, une start-up cofondée par Idriss J. Aberkane et le chercheur Serge Soudoplatoff. Cyrano de Bergerac et le Petit Prince se battent en s’envoyant des phrases en français à traduire en anglais et vice versa.

Cependant, deux ans plus tard, le jeu n’est toujours pas disponible et semble avoir été oublié, tant par I. Aberkane que par Scanderia. Aucune autre référence n’est disponible en ligne.

kFlow

C’est le seul jeu présenté par Scanderia sur son site. kFlow est un jeu qui consiste à résoudre en équipe les problèmes d’une entreprise et à la faire progresser, en concurrence avec d’autres entreprises et donc d’autres équipes.

Voici comment Scanderia présente le jeu :

Si Facebook est un album numérique, K-Flow est une salle de guerre numérique. Une séance de K-Flow est une simulation regroupant de vingt-cinq à cent joueurs, répartis en équipes représentant des entreprises (Samsung, Apple, Intel, Rosneft…), des consortiums d’entreprises, des pays ou des alliances de pays (Organisation de Coopération de Shanghai, ASEAN, OTAN). La mise en situation permet aux joueurs d’acquérir une connaissance approfondie et intuitive de leur environnement concurrentiel, de ses risques, de ses menaces et de ses opportunités, ainsi que des décisions et des stratégies de leurs adversaires.

Cependant, la présentation du jeu est accompagnée d’images de qualité médiocre et comporte quelques incohérences, comme une image qui ne correspond pas à l’intitulé :

Un exemple d’action globale : le groupe Samsung participe à la construction de la Burj Khalifa à Dubai.

Mais cette image ne correspond ni à la position de la Burj Khalifa ni à celle du siège de Samsung. Il est vrai que l’intitulé ne précise pas de position particulière pour l’image, mais on peut supposer qu’elle a été placée là dans ce but.

De plus, on trouve également un texte en français, alors que tous les autres textes des autres images sont en anglais.

Les images en question ne semblent pas être des captures d’écran directes des jeux, car elles apparaissent légèrement inclinées.

Une image bien plus convaincante est proposée par Serge Soudoplatoff sur son blog. Contrairement aux autres, celle-ci ne présente aucune incohérence. Dans le même article, il propose de faire une démonstration du jeu et affirme également que le jeu a été développé par I. Aberkane lors de ses cours à l’École Centrale.

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La seule information neutre sur le jeu provient de cet article qui malheureusement ne cite pas ses sources.

Quark

Quark est un jeu toujours édité par Scanderia, qui correspond à la description suivante :

C’est un jeu qui permet d’apprendre la physique, depuis l’infiniment petit jusqu’à l’infiniment grand, tout en s’amusant.

Son développement est assuré par l’équipe Vision 1.O de Parthenay et a débuté le 6 juillet 2013 (date du premier article de Parthenay sur Quark). La première vidéo à son sujet est sortie le 10 décembre 2013 sur YouTube. La deuxième vidéo est une démonstration de gameplay, diffusée le 13 novembre 2013 sur Vimeo, mais elle est actuellement indisponible. Cependant, elle a bel et bien existé, comme en atteste cet article où il est explicitement fait référence à cette vidéo.

Cette vidéo accompagne une campagne Kickstarter pour financer le projet d’un mode multijoueur pour le jeu. L’objectif était de collecter 15 000 dollars australiens en un mois, mais cet objectif n’a pas été atteint, avec seulement 5 671 dollars collectés.

Le jeu n’est toujours pas sorti, plus de trois ans après la date prévue du 15 décembre 2013. Depuis le 19 décembre, aucun autre signe de vie n’a été donné par Parthenay concernant le jeu, ni par qui que ce soit d’autre.

Eirin International SARL

Il est impossible de prouver l’existence de cette société, censée être une institution de microcrédit agricole à taux zéro, fondée au Kenya. Aucune présence sur internet, à l’exception des documents présentant I. Aberkane. On trouve seulement quelques références à des sociétés portant des noms similaires, mais aucune d’entre elles n’est basée au Kenya.

Conclusion

Je n’ai trouvé aucune trace d’Eirin International, ce qui me fait sérieusement douter de son existence. En l’absence de preuves, je pense raisonnablement pouvoir affirmer qu’elle n’existe pas à ce jour. Cependant, toute personne disposant d’informations à ce sujet est invitée à me les communiquer afin d’étayer cet article.

Scanderia existe bel et bien, mais son bilan est très mitigé :

  • Aucun employé ;
  • Un jeu inaccessible au public (s’il existe) ;
  • Un jeu qui a été développé (par quelqu’un d’autre), mais jamais édité ;
  • Un jeu qui semble n’avoir jamais existé autrement que sur le papier ;
  • Absolument aucun jeu auquel nous pouvons réellement jouer.
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Au-delà du fait que les jeux de Scanderia ne sont pas disponibles, je me pose une question légitime : comment une entreprise comme celle-ci peut-elle prétendre créer des jeux “neuroérgonomiques” basés sur les neurosciences ?

En effet, aucun de ses employés n’a de diplôme en neuroscience puisque l’entreprise n’emploie personne. En ce qui concerne ses fondateurs, Serge Soudoplatoff est un expert d’internet qui n’a rien à voir de près ou de loin avec les neurosciences, et dans ce domaine, I. Aberkane n’a suivi qu’une seule année d’études (et non un doctorat). De plus, sa compétence dans ce domaine a déjà été remise en question.

De plus, l’un de leurs deux jeux (Logos ne pouvant réellement être considéré comme un jeu à part entière) a été développé de manière indépendante, sans l’intervention de Scanderia, par des personnes qui semblent ne pas avoir d’expérience dans le domaine des neurosciences (le mot “neuro” n’apparaît dans aucun des articles consacrés à Quark sur le site Parthenay).

Face à ces éléments, peut-on réellement penser que Scanderia crée ou édite des jeux neuroérgonomiques basés sur les neurosciences, comme le prétend I. Aberkane ? À moins que pour lui, le terme “neuroérgonomique” ne soit qu’un moyen de dire “amusant et instructif”, ce qui n’a finalement rien d’extraordinaire. Cela contrasterait avec les propos tenus par I. Aberkane sur les neurosciences, qu’il renforce avec de nombreux mots commençant par “neuro” (neurosagesse et autres).

J’estime avoir suffisamment développé le sujet pour que l’on puisse se faire une idée objective. En enquêtant sur ses sociétés, tout comme sur d’autres éléments de son CV, on réalise que lorsque I. Aberkane ne ment pas, il exagère considérablement. Il ne s’agit pas seulement de critiquer la forme plutôt que le fond, comme il le prétend, mais bien de démontrer la fausseté de ses prétentions (à la fois académiques et autres) qu’il utilise comme base pour propager et défendre ses idées. Sa démarche est astucieuse, et de telles recherches seraient effectivement inutiles si l’homme faisait preuve d’une réelle scientificité. Ce qui n’est pas le cas pour le moment.

Un peu de vérité, beaucoup d’exagération et quelques mensonges. Voilà ce qui fait un bon CV à la sauce Aberkane.

Critiques des “travaux” d’Idriss Aberkane :

  • Par Kevin Amara sur Partage-le : “La nuisance progressiste : l’exemple d’Idriss Aberkane” (sur les idées de IA) (le site est assez partisan, ndlr)
  • Par Nicolas Gauvrit sur Scepticisme Scientifique : “L’imposteur” (sur l’un des textes de IA)
  • Par Thibault Charon sur Medium : “Idriss Aberkane ou le danger de la poudre aux yeux” (sur l’argumentation de IA)