Lorsque l’entreprise de télécommunications TRJ Telecom a décidé de fournir une voiture électrique à l’un de ses employés, elle pensait réaliser une bonne affaire tout en contribuant à la préservation de l’environnement.
“Nous pouvions bénéficier de la subvention de 8000 $ offerte par le gouvernement du Québec pour encourager l’achat d’une voiture électrique”, déclare Charles Jolicoeur, vice-président de l’entreprise. De plus, cela permettait à notre employé, qui habite assez loin de son lieu de travail, de se rendre au bureau de manière plus écologique.
Cependant, Revenu Québec et l’Agence du revenu du Canada (ARC) ne sont pas du même avis.
“Les deux agences choisissent de pénaliser plutôt que d’aider les entreprises qui préfèrent les voitures électriques aux véhicules à essence”, explique Marie-Hélène Rocheleau, fiscaliste au bureau comptable Hardy, Normand et ass.
Elle ajoute : “Il y a principalement deux problèmes dans leur interprétation des règles fiscales. Dans les deux cas, elles choisissent l’option défavorable à l’environnement.”
Ces problèmes sont liés au calcul de la subvention gouvernementale. En effet, lorsque qu’un employé utilise une voiture électrique d’entreprise à des fins personnelles, Revenu Québec et l’ARC ne tiennent pas compte de la subvention de 8000 $ pour mesurer cet avantage imposable. En revanche, elles le font lorsqu’il s’agit de calculer l’amortissement de l’achat de la voiture par l’entreprise.
Prenons l’exemple d’une voiture d’une valeur de 30 000 $. Le fisc impose l’employé en fonction de la valeur totale du véhicule, mais n’autorise l’entreprise à ne déduire qu’une somme de 22 000 $, compte tenu de la subvention de 8000 $.
“C’est contradictoire, cela désavantage les voitures électriques. On peut parler d’un véritable dysfonctionnement fiscal”, souligne Mme Rocheleau.
Mais ce n’est pas tout. Lorsque le fisc prend en compte les frais d’utilisation (carburant, entretien, immatriculation, etc.) pour évaluer l’avantage imposable obtenu par un employé, il utilise les mêmes montants que pour une voiture à essence. Or, une voiture électrique, même si elle est plus chère à l’achat, coûte bien moins cher en carburant et en entretien annuel, selon la CAA.
“Le résultat, c’est que par exemple, un célibataire qui gagne 50 000 $ par an et utilise une Chevrolet Volt 2018 fournie par son entreprise, devra payer 3000 $ d’impôts supplémentaires par an pour un avantage imposable que le fisc estime à 8080 $, alors que le coût réel pour l’entreprise de l’utilisation de cette voiture est seulement de 2800 $”, explique Marie-Hélène Rocheleau.
“Finalement, la voiture peut coûter plus cher en impôts qu’en frais d’utilisation. Ce n’est pas logique !”
Pas de réponse du gouvernement
Interrogé par La Presse, le cabinet du ministre provincial des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports, André Fortin, nous a renvoyés vers le cabinet du ministre des Finances, Carlos Leitão, qui n’a pas répondu à nos demandes au moment de la publication de cet article.
“Pourtant, mes employés ne souhaitent pas de voitures électriques, car cela leur coûte trop cher en impôts !”, mentionne Charles Jolicoeur de TRJ Telecom.
Pourtant, dans le cadre de sa politique de réduction des gaz à effet de serre, le gouvernement du Québec vise à avoir 100 000 véhicules branchables sur ses routes d’ici 2020. Même si les Québécois achètent déjà la moitié des voitures électriques vendues au Canada, le gouvernement est encore loin de son objectif. À la fin de l’année dernière, seulement 21 500 voitures électriques circulaient dans la province.
Un document déposé en février par le Comité consultatif sur l’économie et l’innovation, un groupe présidé par Monique Leroux et regroupant des chefs d’entreprise de tous les secteurs, des investisseurs institutionnels et des institutions de recherche, recommande d’augmenter encore l’aide à l’achat de véhicules électriques, mais de la réduire progressivement afin de favoriser leur adoption au Québec.
Il est paradoxal que les règles fiscales concernant les voitures électriques soient contradictoires. Depuis janvier, le gouvernement oblige d’ailleurs les concessionnaires automobiles à proposer de tels véhicules à leur clientèle, sous peine de lourdes pénalités. En 2025, il est prévu que 10 % des ventes ou locations de voitures concernent des véhicules à faibles émissions polluantes.
“Les entreprises s’intéressent de plus en plus aux voitures électriques”, affirme Hugo Jeanson, copropriétaire du concessionnaire Bourgeois Chevrolet à Rawdon. “L’année dernière, nous avons mis 525 nouvelles voitures électriques sur les routes. Les ventes aux entreprises représentent de 5 à 10 % de nos revenus. Nous souhaiterions certainement que ce soit davantage ! Si le gouvernement accorde des réductions aux entreprises pour les encourager, il devrait agir de même avec les impôts !”
Note 1 : Notre scénario repose sur l’hypothèse que le tiers du kilométrage effectué par l’employé est à des fins personnelles.