L’Inde, la nouvelle frontière du low-cost pour l’industrie automobile

L’Inde, la nouvelle frontière du low-cost pour l’industrie automobile

Dans le chaos de la circulation indienne, au milieu des rickshaw, des deux-roues et des Maruti-Suzuki, un mot revient comme un mantra : low-cost. L’Inde offre un potentiel de croissance important et pourrait devenir le troisième marché mondial en 2020 avec 9 millions de véhicules vendus. Mais pour réussir au pays des Maharadjahs, il faut tenir des coûts de production très serrés et offrir ainsi un prix très bas aux clients.

L’échec de la Logan

Le segment le plus important du marché (environ la moitié des ventes) se compose de petits véhicules à moins de 450 000 roupies (5 300 euros). Les premières voitures se vendent même encore moins chères, à partir de 200 000 roupies (2 365 euros). Or cette somme représente souvent plusieurs années de salaires pour le consommateur indien. Même la classe moyenne, estimée à environ 200 millions de personnes, ne compte que 50 millions d’acheteurs réels de voitures, selon Renault.

Installé depuis 2006 dans le pays, le constructeur français pensait avoir trouvé la bonne formule avec sa gamme Entry pour contenir les coûts de production et présenter une voiture à un prix abordable. Mais après un bon démarrage, les ventes ont vite chuté. “La Logan avait de belles performances, elle ne rencontrait pas de problèmes de qualité, mais quelque chose manquait. Or en Inde, un produit qui ne plait qu’à 99% ne se vend pas”, concède Marc Nassif, ancien patron de Renault India.

Une phase d’apprentissage

Cet échec a poussé Renault à repenser complètement sa stratégie à partir de 2010. “Trois enseignements ont été tirés de l’échec de la Logan, explique Gilles Normand, directeur des opérations Asie-Pacifique de Renault. Tout d’abord, le design de la Logan n’était pas assez émotionnel pour le client indien. La voiture n’avait pas ensuite été adaptée aux goûts des consommateurs indiens. Enfin, l’image de la marque et ses valeurs n’avaient pas été assez travaillées.”

Renault a également tiré des leçons du fiasco de la Tata Nano, commercialisée en 2008 à partir de 150 000 roupies (1 775 euros). “Le marketing la présentait comme une voiture pas chère, ce qui ne flattait pas l’aspect émotionnel des clients indiens, analyse Gilles Normand. Ici, il faut un produit avec de la valeur où on en a pour son argent. L’achat d’une voiture est un rite statutaire”. Les constructeurs indiens sont également sévères sur la Nano. “Elle n’était pas prête, la tenue de route était mauvaise, les roues n’étaient pas des roues de voiture”, affirme un ingénieur de Maruti-Suzuki, leader du marché indien.

À lire aussi  La Convention Collective Nationale des Transports Routiers et Activités Auxiliaires du Transport

En conclusion, en Inde, tout ce que le client ne voit pas – de la conception à l’architecture en passant par la fabrication – doit être au plus bas prix, mais aucune concession n’est permise sur le design, la qualité ou les équipements favoris des Indiens. “L’achat d’une voiture reste symbolique en Inde, c’est souvent la première, les gens veulent donc une automobile qui possède tous les attributs d’une voiture”, ajoute Laurens van den Acker, designer en chef de Renault.

Adapter la conception

Industriellement, avec la gamme Entry, Renault avait déjà de bons fondamentaux dans la limitation des coûts de production. Mais il a dû aller encore plus loin pour rivaliser avec les grands constructeurs indiens. Les ingénieurs de Maruti-Suzuki ou Tata Motors traquent en effet le moindre roupie dans chaque recoin de la carrosserie.

La fabrication de certaines pièces a donc été repensée. “Nous avons par exemple retravaillé le carter du moteur K9K, ici à Chennai, en partenariat avec nos fournisseurs indiens, explique Debashis Neogi, ingénieur moteur chez Renault. La pièce a été affinée pour utiliser moins de métal, donc coûter moins cher”. La course au poids est l’un des éléments clés pour réduire les coûts. “On rentre alors dans un cercle vertueux, où la voiture nécessite moins de puissance et de métal”, souligne Laurens van den Acker. Renault et Nissan ont étudié les petits véhicules de leurs concurrents. La Tata Nano arbore des pièces de carrosserie très fines avec un petit moteur de 600cc. La voiture la plus vendue en Inde, la Maruti-Suzuki Alto 800, arbore des roues étroites et ne dispose que de peu d’équipements de sécurité (pas d’ESP, pas d’airbags) pour atteindre les 800 kilos. “La pièce la moins chère est celle qui n’est pas présente”, résume en riant Laurens van den Acker.

À lire aussi  L’Industrie Automobile : Un Système de Rappel pour la Sécurité des Véhicules

Fabriquer frugalement

L’usine a également été conçue pour réduire les coûts. “C’est la mise en œuvre de la fabrication frugale, explique Akira Sakurai, directeur du site Renault-Nissan Chennai. L’automatisation n’est que de 22%, nous produisons sur la même ligne des modèles des deux constructeurs”. Les meilleurs processus des deux groupes ont donc été combinés. “L’usine Renault de Palencia en Espagne nous a inspirés pour son organisation lean, celle de Nissan à Sunderland pour le principe des kits de pièces”, précise Colin McDonald, ingénieur sur le site.

A l’emboutissage, l’une des trois presses provient de l’usine Renault de Sandouville, ce qui réduit les coûts d’équipement. “Nous cherchons à localiser au maximum les pièces, nous travaillons avec 170 à 200 fournisseurs. Il faut localiser! Pour le Duster. Notre objectif est d’atteindre 80% de pièces achetées en Inde, contre 65% aujourd’hui”, ajoute Marc Nassif. Même les moules de pièces sont conçus et fabriqués en Inde. L’Alliance bénéficie également des salaires très bas en Inde, en particulier dans le sud du pays. L’usine est située dans ce que Akira Sakurai appelle “le Détroit de l’Inde”, une zone riche en industriels de l’automobile, autour de Chennai. Renault est voisin de Daimler, BMW et Ford. Le groupe ne communique pas sur les salaires de ses employés.

Le premier véhicule à bénéficier de cette nouvelle philosophie de frugalité a été le Renault Duster, également commercialisé en Inde par Nissan sous le nom de Terrano. “Renault et Nissan ont beaucoup appris avec le Duster”, affirme un fin connaisseur de l’épopée Renault en Inde. Le SUV s’est vendu à 75 000 exemplaires depuis son lancement en 2012. Renault l’a adapté aux exigences des clients pour ajouter de la valeur au véhicule : sièges arrière plus confortables, climatisation à l’arrière, nouvelle calandre. Les erreurs de la Logan ou de la Nano ont été bien comprises. Mais désormais, la marque au losange doit passer à l’étape suivante.

Frugalité, modernité et différenciation

Le Duster est en effet un produit haut de gamme sur le marché indien. Or Renault et Nissan veulent conquérir le cœur du marché, les voitures à moins de 450 000 roupies. Au poids et à la production frugale s’ajoute la question de la taille. Pour ne pas être lourdement taxées, les voitures doivent faire moins de 4 mètres. L’Alto 800 ne mesure ainsi que 3,39 mètres de long. L’autre star du marché, la Hyundai Eon, ne dépasse pas les 3,495 mètres.

À lire aussi  Le Mastic Polyester BPO pour des réparations automobiles impeccables

Pour y parvenir, Renault et Nissan travaillent sur une nouvelle plate-forme commune baptisée CMF-A. “A” signifie segment A, les petites voitures, mais aussi “Abordable”, explique Marc Nassif. Toutes les pièces sont dessinées sur place avec nos fournisseurs indiens pour limiter les coûts. Les deux partenaires ne réutiliseront pas massivement des pièces et organes d’anciens modèles comme pour la Logan. La plateforme CMF-A sera modulaire pour encore réduire les coûts. Mais le client obtiendra ce pour quoi il a payé. “Il ne faut pas sacrifier les niveaux d’équipement ou la valeur de la voiture”, affirme Vincent Cobee, vice-président de Datsun, marque qui utilisera également la plateforme CMF-A.

Renault et Nissan envisagent donc des petits modèles connectés, dans un pays où 7 millions de nouveaux utilisateurs de téléphones portables sont recensés chaque mois. Le design est également essentiel. Le centre de design commun de Chennai travaille actuellement sur le futur petit modèle de Renault. “Avec un petit véhicule de moins de 4 mètres, on ne peut pas faire tous les types de véhicules. Mais la contrainte est l’amie du designer, elle oblige à penser autrement, à dessiner différemment et c’est ainsi qu’on innove”, explique Patrick Lecharpy, directeur du centre de design de Chennai. Le marché évolue rapidement dans le pays. Si le petit véhicule de Renault a la même taille, il ne sera probablement pas une citadine à hayon comme les Alto 800 et Eon, mais un petit crossover, dans la lignée du Duster. La présentation du concept Kwid lors du salon de New Delhi donne de bonnes indications sur les proportions du futur modèle.

Coïncidence

Le nouveau modèle de voiture à bas coût évoque immanquablement le mélange d’un véhicule simple des années 60 avec la modernité du design et des équipements. S’il est élaboré en Inde, il pourrait séduire d’autres marchés. Le Brésil possède notamment un marché similaire à celui de l’Inde. L’Europe est également concernée. Par coïncidence, c’est également lors du salon de New Delhi que Citroën a dévoilé le C4 Cactus, premier modèle de sa nouvelle philosophie de marque : plus de simplicité, plus de design, plus de connectivité.

Article original par Pauline Ducamp