La crise des gilets jaunes a-t-elle failli faire tomber la République ? Jusqu’où les manifestants en colère auraient-ils pu aller le samedi 1er décembre 2018 ? Alors que Paris était en feu, que les Champs-Élysées étaient saccagés et que l’Arc de Triomphe, attaqué de l’intérieur, devenait le symbole d’une contestation incontrôlable, notre long format “Macron et les gilets jaunes : l’histoire secrète”, révélé ce lundi soir, plonge dans les coulisses de l’Élysée pour éclairer la pire séquence du quinquennat d’Emmanuel Macron jusqu’à présent.
Les cinq mois cruciaux
De l’exaspération exprimée de manière virale sur les réseaux sociaux aux événements tragiques de l’incendie de Notre-Dame, alors que les conclusions du grand débat devaient être dévoilées, nos équipes reviennent sur ces cinq mois cruciaux pour le président de la République. Des mois marqués par le déni, les cafouillages, une haine inédite envers le chef de l’État et même la crainte d’une chute du pouvoir exprimée par certains sénateurs.
Le décalage
Près d’un an après les faits, une question demeure : Emmanuel Macron aurait-il pu mettre fin à cette crise plus tôt ? Le 1er décembre 2018, lors de l’escalade de l’acte 3 des gilets jaunes, le président de la République se trouve de l’autre côté du monde, en Argentine pour le sommet du G20. 11 000 kilomètres et un décalage horaire de 4 heures le séparent du chaos qui s’empare de Paris. Malgré cela, le chef de l’État ne réagit pas, ses conseillers sont instruits de ne pas évoquer les événements en cours. Les journalistes sur place sont perplexes.
Lors de la conférence de presse en clôture du sommet, on se dit forcément que Emmanuel Macron va commencer par parler de Paris compte tenu de la gravité des faits. “Il commence son discours comme si de rien n’était à parler du climat, du commerce (…) Il rend même hommage à l’ancien président américain George H.W. Bush, décédé la veille”, se souvient notre journaliste politique Mathieu Coache.
Du cafouillage à l’électrochoc
Comme depuis les 15 jours précédents et le début de la crise, le président de la République reste sourd aux revendications de la rue. Cette prise de parole en Argentine, jugée étrange par les commentateurs, est une bombe pour ceux qui manifestent chaque week-end. “Le simple fait qu’il ne mentionne pas les ‘gilets jaunes’ montre que nous ne sommes pas reconnus”, se souvient Gaylord, un militant de Compiègne. Pour lui, Emmanuel Macron est arrogant et montre qu’il est au-dessus de tout.
Le président devient alors une cible, dans tous les sens du terme. Il en fait l’expérience lors d’une visite qui sera un électrochoc. Trois jours après les événements de l’Arc de Triomphe, le chef de l’État se rend discrètement au Puy-en-Velay pour visiter la préfecture incendiée le 1er décembre. Mais il ne passe pas inaperçu en atterrissant avec un jet présidentiel en milieu rural.
Très vite, des gens se rassemblent à l’annonce de sa visite. Un petit groupe d’opposants arrive sur place, très vindicatif. Pour sortir, le service d’ordre doit improviser face à une situation potentiellement dangereuse. Le convoi présidentiel est bloqué dans les embouteillages en pleine heure de pointe. La voiture présidentielle est vulnérable. Fait rare, trois membres du GSPR, le groupe de sécurité de la présidence de la République, continuent à pied pour protéger le véhicule blindé. Un manifestant frappe sur une portière au moment où le cortège s’enfuit.
L’exfiltration et l’abri anti-atomique
À ce stade, tous les scénarios sont envisagés, y compris l’exfiltration du chef de l’État en hélicoptère en cas d’attaque du Palais. La Première dame et quelques conseillers visitent même un abri ultra-confidentiel situé sous l’Élysée, le PC Jupiter, normalement réservé au président et à son état-major en cas d’attaque nucléaire.
Une première prise de parole et un gros chèque
Le président comprend qu’il doit réagir et change sa stratégie. Le soir du 10 décembre, il s’adresse pour la première fois directement aux gilets jaunes. Il annonce l’annulation de deux réformes, l’augmentation du smic et la défiscalisation des heures supplémentaires. Au total, Emmanuel Macron est prêt à mettre huit milliards d’euros sur la table.
Mais ce geste ne suffit pas à convaincre. Sa prise de parole est jugée trop tardive. “Pour moi, personnellement, cela n’apporte rien, et ceux qui étaient avec moi sur le rond-point n’en retirent rien non plus”, déclare Gaylord. “Franchement, l’opinion de 99% des personnes que je côtoie, c’est qu’il commençait vraiment à se moquer de nous et cela nous énervait encore plus.”
Du grand débat à l’acte 2 du quinquennat
La série de débats dans le cadre du grand débat national est un succès médiatique qui pousse le président à poursuivre l’exercice. En 80 jours, il participe à 14 débats. Mais cela a-t-il sauvé Emmanuel Macron ? Bien que le mouvement des gilets jaunes se soit essoufflé avec seulement quelques centaines de manifestants le week-end dernier, le climat social en France reste plus que jamais tendu.
Entre la réforme des retraites, le bras de fer avec la SNCF et les manifestations contre le réchauffement climatique, les contestations sont multiples et l’action du gouvernement est scrutée de près. Emmanuel Macron sait désormais que chaque nouvelle réforme peut être explosive. Le président a annoncé un changement de ton et de méthode pour l’acte 2 du quinquennat, qui devra composer avec une grève générale et nationale prévue le 5 décembre prochain et à laquelle certains gilets jaunes prévoient de se joindre.