En 1993, lors d’une interview du président François Mitterrand par une équipe de télévision belge, un journaliste osa poser une question sur les écoutes commanditées par l’Élysée, révélées par le journal Libération. Mitterrand, choqué, mit brutalement fin à l’interview. Ces écoutes, qui visaient des personnalités telles que le journaliste Edwy Plenel, l’écrivain Jean-Edern Hallier et l’actrice Carole Bouquet, avaient bien eu lieu. Toutefois, lorsque l’affaire fut jugée en 2004, l’intéressé était déjà décédé depuis longtemps.
Une décennie plus tard, en 2014, il a été révélé que les conversations entre Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog avaient été écoutées, même si le téléphone de l’ancien président avait été acquis au nom de Paul Bismuth. Et en 2021, il a été découvert que le téléphone du président Emmanuel Macron aurait été espionné depuis le Maroc grâce à un logiciel espion appelé Pegasus.
Les particuliers s’y mettent
La nouveauté réside dans le développement de logiciels “furtifs” que chacun peut installer sur le smartphone d’une personne proche afin de la surveiller. Que ce soit par jalousie envers un partenaire soupçonné d’infidélité, pour la méfiance envers un employé ou pour la sécurité de ses enfants, il est désormais possible de surveiller relativement facilement quelqu’un.
Les options sont nombreuses et une simple recherche sur Google Play ou l’App Store permet de s’en rendre compte : mSpy, SpyGate, Spyfer, eyeZy ou Umobix sont parmi les plus connus, mais il en existe de nombreux autres, vendus ouvertement. Ces applications vont bien au-delà de l’espionnage des conversations et offrent une variété de fonctionnalités. Elles recommandent toutefois à leurs utilisateurs de respecter la loi.
Ce que dit la loi
Bien que le désir de se rassurer soit compréhensible, dans la plupart des cas, l’écoute des conversations téléphoniques est illégale et sévèrement punie. Le Code pénal (articles 226-15, 226-1 et 226-2) sanctionne ces activités d’une amende allant jusqu’à 45 000 € et d’une peine d’emprisonnement d’un an.
L’article 226-15 du Code pénal est clair : “Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie électronique ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions.”
Il est également important de noter que les preuves obtenues de cette manière ne sont généralement pas recevables devant les tribunaux, notamment dans le cadre d’une procédure de divorce litigieuse.
Ce que l’on peut faire
Que peut-on faire légalement dans ce domaine ? Un employeur est autorisé par la législation européenne à pratiquer une surveillance électronique à condition d’informer préalablement ses employés.
Un adulte peut installer un logiciel de surveillance sur le smartphone de son enfant, car il en est le responsable légal jusqu’à ses 18 ans. Il en va de même pour une personne sous tutelle ou sous curatelle. Dans tous les autres cas, notamment en cas de suspicion d’infidélité, espionner le téléphone portable de quelqu’un d’autre est une activité illégale et punie comme telle.
Si la surveillance des enfants est la principale motivation, certains installent également ce type d’application sur leur propre smartphone. Ainsi, en cas de vol, ils peuvent localiser l’appareil et essayer d’identifier le voleur.
Encore faut-il installer l’application
Pour pouvoir espionner un téléphone portable, il faut pouvoir accéder à l’appareil cible afin de télécharger et d’activer l’application. Cela prend généralement quelques minutes. Cependant, la tâche est plus difficile avec les smartphones utilisant des systèmes d’identification biométrique, tels que ceux d’Apple. Néanmoins, si l’appareil est allumé et actif, il est généralement possible de l’utiliser lorsque l’intéressé s’absente brièvement.
Certains logiciels espions proposent même des astuces : un message est envoyé au destinataire et lorsqu’il clique sur un lien ou un bouton particulier, l’application s’installe en arrière-plan.
Une fois installée, l’application est invisible sur le téléphone cible : aucune icône n’apparaît sur l’écran d’accueil et elle n’est pas répertoriée dans les “Réglages”. Ainsi, la personne concernée n’en saura rien.
Une vaste gamme d’outils de surveillance
Comme mentionné précédemment, les applications de surveillance à distance vont bien au-delà de l’écoute en temps réel des conversations téléphoniques. D’autres possibilités s’offrent aux indiscrètes :
- Géolocalisation pour suivre les déplacements de la personne espionnée ;
- Obtention d’une copie des messages échangés sur iOS et Android ;
- Surveillance des activités sur Facebook, TikTok, Twitter, Instagram et autres réseaux sociaux ;
- Capture de photos ou de vidéos à l’insu de l’utilisateur du smartphone ;
- Transfert de contenu depuis l’appareil ciblé ;
- Consultation de l’historique de navigation sur le Web ;
- Blocage à distance de certains numéros de téléphone ou de certains sites Web ;
- Extinction du téléphone après une certaine durée d’utilisation ;
- Envoi d’une notification lorsqu’un événement se produit sur le téléphone cible ;
- Enregistrement des frappes grâce à un keylogger.
Ces données sont généralement transmises à un espace client en ligne accessible via un navigateur Web.
Comment savoir si l’on est espionné
Il n’est pas facile de détecter si quelqu’un essaie de nous espionner. Des applications telles que WTMP ou LookWatch permettent au moins de savoir si quelqu’un a essayé d’utiliser votre smartphone à votre insu.
Un signe qui peut éveiller les soupçons est une baisse anormale de la charge de la batterie, résultant de l’activation à distance du microphone de l’appareil pour faciliter l’écoute des conversations. Cependant, une décharge de batterie ne signifie pas nécessairement que vous êtes écouté.
Si l’arrêt du téléphone est beaucoup plus long qu’auparavant, cela pourrait indiquer l’utilisation d’une application d’espionnage. Parfois, il est impossible ou très difficile d’éteindre complètement l’appareil, qui reste constamment en mode veille, ce qui peut être le signe de l’utilisation d’une telle application.
Peut-on échapper à l’espionnage ?
Que pouvez-vous faire pour vous protéger d’une éventuelle surveillance de vos conversations et activités ? Une solution pourrait être d’utiliser un téléphone jetable que l’on trouve dans les bureaux de tabac ou chez les opérateurs.
Une autre façon de passer des appels en toute discrétion peut consister à utiliser un téléphone fixe si vous en avez un à la maison, ou encore mieux, à utiliser une cabine téléphonique s’il en existe encore dans votre région.
Vous pouvez également vous rendre dans un cybercafé et utiliser une application comme Skype pour appeler votre interlocuteur depuis un ordinateur.
Il existe bien sûr des messageries sécurisées telles que Signal ou Telegram. Cependant, si le logiciel espion dispose d’un keylogger de qualité, il enregistrera ce que vous tapez et ces informations pourraient être transmises à l’intrus.