Pourquoi la Coupe du monde au Qatar fait-elle polémique sur le plan écologique ?

Pourquoi la Coupe du monde au Qatar fait-elle polémique sur le plan écologique ?

Soupçons de corruption, négation des droits de l’Homme et désastre écologique… La prochaine Coupe du monde organisée au Qatar du 20 novembre au 18 décembre fait plus parler d’elle pour les nombreuses polémiques qu’elle suscite que pour son aspect sportif. Avant que la planète foot ne braque ses yeux sur ce petit pays de la péninsule arabique, France Bleu revient sur les raisons d’un tel scandale. Dans le premier volet de notre série : le Mondial au Qatar, une aberration écologique ?

Des stades climatisés à ciel ouvert

L’idée surprend encore douze ans après l’attribution de la Coupe du monde au Qatar. Pourquoi donc avoir décidé d’organiser l’un des événements sportifs les plus médiatisés au monde dans un pays synonyme de chaleur écrasante ? Paradoxalement, les spectateurs qui iront suivre les matchs dans les stades devront certainement se couvrir contre le froid puisque la quasi-totalité d’entre eux seront climatisés.

En été, le thermomètre peut atteindre jusqu’à 50 degrés au Qatar, plus petit Etat du Golfe, les organisateurs ont décidé de décaler la compétition, qui se tient habituellement au début de l’été, en fin d’année, du 20 novembre au 18 décembre. En dépit de températures plus clémentes à cette saison (entre 19,5 et 29,5 degrés en moyenne en novembre et 15 et 24,1 degrés en décembre), sept des huit stades qui accueilleront les matchs seront climatisés à ciel ouvert. À rappeler que le Qatar est l’un des principaux exportateurs de gaz au monde et détient le record mondial d’émissions de CO2 par habitant. Il est ainsi le premier pays au monde à atteindre son “jour de dépassement”, le 10 février en 2022, selon le classement réalisé par Global Footprint Network.

“40% plus durable” pour l’ingénieur de cette technologie

Climatiser un stade n’est certes pas une nouveauté. Aux Etats-Unis notamment, plusieurs stades en sont équipés. Mais au Qatar, l’ingénieur qui a développé la technologie l’assure, les systèmes utilisés sont “estimés 40% plus durables que les techniques existantes”. Saud Abdulaziz Abdul Ghani, surnommé “Dr. Cool”, a travaillé 13 ans pour développer cette technologie. Et ajoute qu’elle permet de protéger les joueurs des blessures, de bichonner le gazon ou encore d’éliminer moiteur et odeurs corporelles des tribunes. “Dr. Cool” pense que ces stades climatisés vont devenir la norme dans le futur, notamment pour le Mondial 2026 aux États-Unis et au Mexique.

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Mais cette dépense d’énergie supplémentaire est-elle justifiable d’un point de vue écologique ? La climatisation des stades est alimentée par une ferme de panneaux solaires et “nous avons la meilleure isolation thermique, les meilleurs capteurs, afin d’utiliser la juste dose d’énergie dans chaque zone. Nous ne faisons pas d’excès”, promet “Dr Cool”. Pour Pierre Ferret, architecte du Stade Pierre-Mauroy de Lille, “il n’y a pas de raison qu’il n’y ait pas de climatisation dans les stades quand il y a du chauffage dans d’autres. Cela dépend aussi de comment on climatise. Si on le fait avec du gaz ou du pétrole, ce n’est pas vertueux. Avec des panneaux photovoltaïques, c’est mieux.”

“Je ne doute pas que la technologie fonctionne”, ajoute Russell Seymour, PDG de BASIS, l’association britannique pour le sport durable. Seymour s’inquiète toutefois du “message véhiculé” par la climatisation d’un espace à ciel ouvert. Alors que l’heure est aux économies d’énergie, “dans les bureaux, par exemple, les gens veulent souvent ouvrir les fenêtres pour renouveler l’air mais ils ont aussi l’air conditionné”, rappelle-t-il.

Une technologie inspirée de la Ford Mondeo

Chaque stade du Mondial est différent, sa “clim” l’est donc également. Dans les gradins de 40.000 places du stade Al-Janoub, qui accueillera sept matches (dont le premier de l’équipe de France le 22 novembre), le Dr Saud décrit un système inspiré de… la Ford Mondeo, étudiée pendant son doctorat. La forme plane du bâtiment empêche l’infiltration du vent et permet la formation d’une bulle d’air rafraîchi autour de 21 degrés, déshumidifié et purifié, sortant de petites bouches d’aération sous les fauteuils des spectateurs ainsi que de buses plus grandes au bord du terrain. Cet air forme “une couche d’environ deux mètres au-dessus des tribunes, qui descend, traverse le terrain et remonte vers les tribunes”, détaille l’ingénieur.

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“Ensuite, on reprend une partie de l’air froid, on le purifie et on le refroidit à nouveau (au contact d’une eau très froide qui circule en circuit fermé, comme le radiateur de refroidissement d’une voiture, ndlr) puis on le repousse” dans les tribunes et sur le terrain, avec une intensité modulable dans chaque zone, selon son exposition au soleil par exemple. Ainsi, le stade Al-Janoub sera refroidi deux heures avant un match et jusqu’au coup de sifflet final. “Dr Cool” invite les experts à venir vérifier ses promesses écologiques et ajoute que cette technologie n’a pas été brevetée. Elle est donc utilisable gratuitement par tous à tout moment, y compris hors des stades. Elle a d’ailleurs été mise en œuvre dans un centre commercial à ciel ouvert à Doha ou encore une ferme de l’émirat.

Des stades à usage unique ?

L’autre point de crispation écologique, c’est la question de la construction des stades. La plupart d’entre eux ont été construits ex nihilo et ne seront pas réutilisés après la compétition. L’impact écologique de leur construction ne sera donc pas amortie dans le temps. Le Stade Ras Abou Aboud, bâti à partir de conteneurs, de gradins amovibles et d’éléments modifiables sera entièrement démonté à l’issue du Mondial. Ces stades, de 40.000 à 80.000 places, construits dans un pays aussi petit, constitue la seconde “aberration écologique”, selon les critiques. 75 km seulement séparent les stades les plus éloignés et tous ont été construits dans un cercle de 15km de rayon au sein de l’agglomération de Doha.

Pour les organisateurs du Mondial, cette proximité des stades est un atout environnemental puisqu’elle est permet de réduire les déplacements des spectateurs. Des équipements ont été construits pour l’occasion, comme une ligne de métro par exemple. Ce qui pourrait être un bon point attribué au Qatar en matière de lutte contre le réchauffement climatique s’avère plus complexe que cela. Les capacités hôtelières du Qatar ne permettront pas d’accueillir l’ensemble des spectateurs et beaucoup d’entre eux résideront dans les États voisins. Pour l’occasion, cinq compagnies du Golfe ont annoncé 160 vols quotidiens pour rejoindre Doha.

C’est ce qui ne passe pas auprès des nombreux critiques de cette attribution au Qatar puisque nombre d’autres pays avaient déjà les stades nécessaires pour accueillir un tel événement. “On va aller dans un pays qui, sur le papier, avait zéro chance d’avoir le Mondial : ni les spectateurs, ni les infrastructures, ni le climat. En fait, je crois qu’aujourd’hui, on se laisse dévorer par l’argent rouge de sang”, déclarait sur France Inter l’acteur Vincent Lindon.

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La promesse d’une neutralité carbone

En mai dernier, l’ONG Carbon Market Watch mettait en doute la promesse de neutralité carbone affichée par les organisateurs du Mondial. “Les données suggèrent que les émissions liées à la Coupe du monde seront considérablement plus élevées que prévu par les organisateurs, et que les crédits carbone destinés à compenser ces émissions n’auront sans doute pas un impact suffisamment positif sur le climat”, est-il écrit dans un rapport.

Ces conclusions ont été qualifiées de “spéculatives et inexactes” par les organisateurs du Mondial-2022. “Nous sommes sur la bonne voie pour organiser une Coupe du monde neutre en carbone”, a répondu le Comité suprême dans un communiqué. Le comité assure que les données “réelles” seront publiées après le tournoi “et tout écart expliqué et compensé”. Les “émissions inévitables” seront “compensées par des investissements dans des crédits carbone reconnus et certifiés au niveau international”, ce qui “devrait être reconnu, plutôt que critiqué”, ajoute-t-il.

Selon un rapport de la Fifa publié en juin 2021, la Coupe du monde au Qatar devrait générer 3,63 millions de tonnes de dioxyde de carbone, selon un rapport publié par la Fifa. Mais l’ONG Carbon Market Watch estime toutefois que ce chiffre est sous-estimé, notamment car les émissions liées à la construction des stades sont “potentiellement jusqu’à huit fois” plus importantes qu’annoncé. L’ONG dénonce aussi la “qualité” et “la crédibilité” du système de crédits carbone développé spécifiquement pour l’événement. Elle craint que la promesse de neutralité carbone ne suscite parmi le grand public une “complaisance, aujourd’hui et dans l’avenir, à l’égard d’un tournoi dont l’empreinte carbone est importante”.

Ces questions environnementales, au cœur de l’actualité, risquent malheureusement de continuer à faire parler d’elles. Mardi 4 octobre, le Conseil olympique d’Asie a annoncé que les Jeux asiatiques d’hiver de 2029 se tiendront en Arabie Saoudite. Pour l’occasion, le riche État pétrolier, voisin du Qatar, construira une mégapole futuriste dans le désert montagneux du nord ouest du pays.