Avec ses plages bordées de palmiers, ses villes côtières, ses vignobles à l’intérieur des terres et son ensoleillement toute l’année, le sud de la France ressemble en certains points à une Californie du sud à la française. La région de Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) compte près de 200 000 étudiants et un pôle technologique à Sophia Antipolis, près de Nice. Dépendante de la voiture, elle possède une importante zone commerciale urbaine près de Marseille. Les chirurgiens esthétiques y sont nombreux. Les marinas y accueillent des superyachts. La région accueille également chaque année le festival de Cannes, célébré par les stars américaines qui affectionnent les châteaux millionnaires dans les environs.
Cependant, sur le plan politique, le sud de la France est très différent de la Californie libérale. Ce n’est pas une destination pour les jeunes en quête de modes de vie alternatifs ou de contre-culture. À quelques exceptions près, notamment Marseille, presque toute la frange côtière et intérieure penche à droite, voire à l’extrême droite. La plupart des petites villes et des villages, ainsi que sept des dix plus grandes villes, dont Nice, Cannes et Aix-en-Provence, sont dirigés par des maires de centre-droit. La dixième plus grande ville, Fréjus, est dirigée par le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen, l’ancien Front National. Lors du premier tour des élections présidentielles de 2017, PACA était la seule région de France métropolitaine à avoir placé Emmanuel Macron derrière à la fois Mme Le Pen et François Fillon, le candidat de centre-droit.
Cette tendance à droite trouve ses racines historiques. Lorsque l’Algérie a obtenu son indépendance de la France en 1962, près de 700 000 pieds-noirs (colons français) ont débarqué à Marseille et dans d’autres ports du sud, furieux contre Charles de Gaulle pour avoir cédé le territoire. Parallèlement, des immigrés d’Afrique du Nord, recrutés pour travailler sur les chantiers de construction ou dans les usines, ont commencé à s’installer dans la région. Le nationalisme xénophobe a été une force puissante utilisée par Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front National, pour rassembler des soutiens. Il a obtenu ses meilleurs scores initiaux en PACA, avec 19% des voix lors des élections au Parlement européen en 1984. Dix ans plus tard, les trois premières mairies du parti – Toulon, Orange et Marignane – se trouvaient toutes dans la région.
Avec le temps, selon Vincent Martigny de l’Université de Nice, cela a “orienté la droite traditionnelle de la région vers une position plus dure que dans le reste de la France”. La droite et l’extrême droite ont tous deux mis en avant les questions de l’immigration et de la sécurité. Les politiciens dénoncent les migrants clandestins et la frontière poreuse avec l’Italie. En effet, Marine Le Pen a recruté Thierry Mariani, ancien député républicain de centre-droit de Provence, comme candidat du RN aux élections régionales en juin. Il a perdu au second tour face aux Républicains.
Une deuxième raison du vote à droite est démographique. Le climat du sud a depuis longtemps attiré les retraités. Il y a proportionnellement plus de plus de 65 ans dans la région que dans l’ensemble de la France, comme en témoignent les parties de boules bien fréquentées. Le ratio entre les maisons de retraite privées et publiques en PACA est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Les Senioriales, une résidence sécurisée de bungalows pour “seniors” dans le village de Les Mées, propose une piscine et du cardio-training pour ce que l’industrie appelle les “papy-boomers”. Les plus de 65 ans votent davantage et ont tendance à favoriser la droite.
L’inégalité est un autre facteur, selon Christèle Lagier, politologue à l’Université d’Avignon. Après Paris, la région a le plus grand écart de revenus entre les 10% les plus riches et les plus pauvres du pays. Les prix de l’immobilier y sont élevés. Philippe Aldrin, politologue à Sciences Po-Aix, affirme que le déclin de l’emploi industriel, qui organisait autrefois les travailleurs dans les syndicats, et l’émergence d’emplois dans les services tels que les maisons de retraite et les supermarchés ont rompu les liens avec les partis de gauche. Le RN prospère surtout sur le sentiment anti-immigrés dans le sud et sur le déclin industriel dans le nord. Pourtant, en PACA également, il attire des électeurs qui estiment que les partis traditionnels les ont abandonnés. Selon Mme Lagier : “Les électeurs du RN ne sont pas un stock constant, il y a beaucoup d’électeurs ici qui hésitent entre les Républicains et le RN.”
Cette hésitation est illustrée par Brignoles, une petite ville située entre la forêt de pins méditerranéens et l’autoroute. Avec ses ruelles médiévales étroites et ses toits en tuiles de terre cuite, son air provençal est en partie défraîchi. La dernière mine de bauxite à proximité, qui fournissait autrefois des emplois, a fermé en 1989. Sur la rue principale, des panneaux “À vendre” sont collés sur un salon de coiffure, un magasin de chaussures et une boulangerie murée. Des supermarchés ternes bordent le périphérique. La population originaire de l’immigration de la ville se trouve principalement dans des logements de faible hauteur en périphérie.
Pourtant, en même temps, à l’ombre de vieux platanes et à côté d’une fontaine, les cafés en terrasse de la place principale sont animés. Les rues nouvellement piétonnes ont été nettoyées et l’éclairage public a été adouci. La ville organise un festival de jazz cet été et des cours de yoga dans un parc public. On raconte même que George Clooney a acheté un château à proximité.
Historiquement, Brignoles votait à gauche et a même élu un maire communiste en 2008. Il y a huit ans, elle a fait les gros titres lorsque le Front National a remporté une élection partielle locale, laissant présager un basculement vers l’extrême droite. Cependant, lors des élections municipales de l’année dernière, Brignoles a défié l’image qui lui collait à la peau depuis, et a soutenu Didier Brémond, le maire sortant de centre-droit, avec un écrasant 79% des voix. Le RN n’a même pas présenté de candidat.
Catherine Delzers, la candidate de centre-droit qui a perdu face au Front National à Brignoles en 2013, attribue ce triomphe au fait que le maire “écoute les gens”. Le maire lui-même est généreux à l’égard des motivations de ses concitoyens, affirmant que le vote à droite dure le passé était davantage un “ras-le-bol” qu’un sentiment extrémiste véritable. Améliorer la vie dans la ville, selon M. Brémond, un homme d’affaires local, s’est avéré être le meilleur moyen de riposter : “Brignoles avait perdu pied, aujourd’hui nous le relançons”.
D’autres villes de la région ont également évolué, mais de différentes manières. Le sud de la France ne regorge pas seulement de conservateurs vieillissants buvant du pastis. Aix-en-Provence, où se trouvent de nombreux étudiants, est dotée d’une scène technologique naissante. Marseille, une ville multiculturelle pleine d’audace, a récemment attiré une population jeune et artistique fuyant les loyers élevés de Paris et d’ailleurs. L’année dernière, un candidat de gauche écologiste a remplacé son maire républicain de longue date. Si le télétravail survit, cela pourrait attirer des amateurs de soleil plus jeunes et peut-être faire évoluer la politique régionale. Jusque-là, les modes de vie dans le sud de la France peuvent sembler californiens, mais la politique de la région restera davantage semblable à celle de la Floride tout aussi ensoleillée et peuplée de retraités. ■