Les soldes d’hiver sont là, et Coralie, une parisienne coquette, anticipe déjà le shopping. Mais pour elle, cela implique d’éviter certaines boutiques et marques françaises, car elles ne proposent pas de vêtements dans sa taille, qui est du 42 ou plus. Cette situation n’est pas unique à Coralie, car plus d’une femme sur deux en France fait face à la même problématique.
Le regard des autres et les choix des marques
Au fil des années, Coralie a appris à éviter les boutiques où le regard des vendeuses était pesant ou les marques qui ont choisi de ne pas proposer des vêtements au-delà de la taille 40. Elle n’est pas la seule à prendre cette décision, car le blog féministe des Martiennes avait soulevé ce problème en 2013 en relatant l’expérience d’une autre jeune femme qui ne trouvait plus de vêtements à sa taille chez certaines marques telles que Claudie Pierlot, Maje et Sandro.
Dans mon expérience personnelle, j’ai également remarqué ce phénomène dans deux boutiques de Claudie Pierlot à Paris. Les vendeuses m’ont répondu unanimement : “Désolée madame, nous ne proposons pas de grandes tailles”. Mais est-ce que le 42 est vraiment une grande taille ? Selon Pauline et Julie, cofondatrices d’une marque éponyme et d’un concept store proposant des vêtements allant du 34 au 46, les tailles au-dessus du 44 sont considérées comme grandes tailles dans le milieu de la mode.
Mais alors, pourquoi ces marques choisissent-elles de se priver de clientes potentielles ? La réponse réside dans des raisons marketing et financières. Cependant, il est important de noter que les clientes, qu’elles soient grandes tailles ou non, ont également leur part de responsabilité dans cette situation.
L’image et le standing de la marque
Françoise, qui travaille pour plusieurs marques françaises de prêt-à-porter, a souligné que l’image et le standing de la marque sont des facteurs clés dans cette décision. Selon elle, les marques se sont fixées une limite à la taille 40 car aller au-delà “dégraderait l’image de la marque, le standing”. Pourtant, ces marques ne revendiquent évidemment pas leur positionnement de cette manière.
Cette décision peut sembler étonnante, car en proposant uniquement des tailles jusqu’au 40, elles risquent de froisser les clientes qui se sentent exclues. Abercrombie & Fitch, la marque américaine, avait connu de vives critiques en 2013 lorsqu’elle s’est arrêtée à la taille 38, ce qui lui a causé un véritable bad buzz. Récemment, la marque américaine Urban Outfitters a également attiré l’attention en faisant poser une mannequin grande taille pour sa dernière campagne sans proposer de tailles correspondantes.
Le secteur de la mode et ses contraintes
Les marques de prêt-à-porter qui nous intéressent font partie du segment du “luxe abordable” et évoluent dans un milieu très concurrentiel. Selon le sociologue de la mode Frédéric Godart, les marques de luxe font de grosses marges mais vendent peu, tandis que les marques de fast fashion ne font pas de grosses marges mais vendent en grande quantité. Les marques de “luxe abordable” se trouvent au centre de ce “sablier”, avec des marges moins importantes, tout comme les volumes produits et vendus.
Dans ce contexte, il est crucial de se démarquer et de travailler son image pour rester en mémoire. Ces marques capitalisent énormément sur l’image de la Parisienne et de la Française en général. Delphine Dion, professeur de marketing spécialisée dans le luxe, souligne que “en France, une femme à la mode, c’est une femme mince”. Les vendeuses jouent donc un rôle essentiel dans la promotion de cet idéal, souvent considérées comme les mannequins officiels de la marque.
Cependant, elles peuvent également agir comme des repoussoirs. Béatrice Tachet, qui réalise une thèse sur les difficultés des marques à proposer des grandes tailles, se souvient d’une expérience dans une boutique Maje où une vendeuse lui a dit : “Ah, vous venez pour les accessoires ?”. Il était clair qu’elle ne correspondait pas à l’image attendue pour porter les créations de la marque.
Les contraintes économiques et la psychologie de la cliente
L’élargissement de la gamme de tailles pose non seulement des problématiques liées à l’image et au standing, mais aussi des défis économiques. Produire des vêtements dans une plus grande variété de tailles nécessite à la fois plus d’espace en magasin et une trésorerie suffisante pour répondre à la demande. Lorsqu’un créateur conçoit un vêtement, il le fait selon une taille spécifique. Ensuite, les croquis passent entre les mains des professionnels qui les déclinent en autant de patrons que de tailles proposées par la marque.
Proposer la même création en taille 36 ou en taille 46 demande également plus de tissu. Les marques du 34 au 46 expliquent qu’une petite jupe nécessite 56cm de tissu pour une taille 36, tandis que pour une taille 52, il faudra prévoir le double, ce qui entraîne des pertes de tissu. Pour des marques qui ne produisent pas autant que Zara ou Primark, cela représente un budget conséquent.
De plus, il est important de souligner que les différences morphologiques ne se limitent pas aux personnes de grande taille. Deux femmes portant une taille 38 peuvent avoir des proportions très différentes, mais les volumes sont beaucoup plus petits. Il est donc essentiel d’ajuster les créations en fonction de chaque taille afin de satisfaire toutes les clientes.
Un changement culturel nécessaire
La situation actuelle est souvent influencée par l’image du corps que nous avons, en particulier lorsqu’il s’agit d’un corps considéré comme “gros”. Certaines clientes s’autocensurent en raison de cela, tandis que d’autres ne veulent pas voir les mêmes modèles proposés dans des “grandes tailles”. Catherine Lemoine l’a bien expliqué : “Dans l’inconscient collectif, un gros est en transition dans un corps de gros. Il cherche forcément à maigrir et sa priorité n’est pas de s’habiller. Donc la mode pour les gros, c’est un non-sujet”. C’est pourquoi il est préférable de laisser cette petite robe noire à une femme taille 38 et de se tourner vers des collections spéciales “grandes tailles”.
Mais il serait injuste de tout mettre sur le dos des clientes. Les marques ne jouent pas toujours le jeu non plus. Elles ne font presque jamais de publicité lorsqu’elles proposent des tailles plus larges. Les mannequins en vitrine ne sont pas faits pour porter ces tailles de vêtements. Certaines marques peuvent même prétendre avoir essayé de vendre des tailles plus grandes sans succès en magasin.
Chez nos voisins anglo-saxons, la situation semble moins compliquée. Le nombre de marques grand public proposant des tailles plus étendues s’est élargi, grâce à la pression exercée par les consommateurs. Des célébrités comme Kim Kardashian portent désormais des créations de grandes maisons de couture, ce qui prouve que même le luxe peut s’adapter à des courbes réelles.
Même si Internet a donné un nouvel espoir aux femmes qui portent du 44 ou plus, grâce à de petits créateurs et de belles marques, l’image de la Française mince persiste. Les mentalités évoluent moins rapidement en France qu’aux États-Unis, où les normes sont plus décomplexées. En France, nous avons un patrimoine à défendre, un mode de vie et une image à préserver, affirme Emmanuelle Bresson.
Contactées par Le HuffPost, les marques Maje, Sandro et Claudie Pierlot n’ont pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.
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