Au bonheur des amateurs d’Antiquité ! Chaque samedi matin sur France Inter, Pierre Judet de La Combe, grand philologue, anime une émission captivante intitulée “Quand les dieux rodaient sur la Terre !” Cette émission nous transporte dans l’univers des dieux, déesses et demi-dieux du monde grec, qui ont laissé une empreinte indélébile dans les poèmes, les récits et les tragédies. Même s’ils ont été considérés comme immortels par les Grecs, ils ont bel et bien disparu. Toutefois, leurs histoires continuent de fasciner petits et grands. Mais pourquoi cette fascination persiste-t-elle ? Et pourquoi l’histoire moderne leur accorde-t-elle moins d’importance qu’autrefois ? Les spécialistes préfèrent s’intéresser à l’histoire plutôt qu’aux histoires. Ils privilégient la science des événements et des réalités passées, reléguant la mythologie à la sphère religieuse. Les Grecs avaient leurs propres histoires et nous avons les nôtres.
Les mythes, nourriture exotique ou miroir de l’âme humaine ?
Certains ont tendance à considérer les mythes grecs comme exotiques ou naïfs, comme si les Grecs n’avaient jamais cessé de croire au Père Noël. Mais avons-nous vraiment le droit de nous moquer de leur croyance ou de nous demander s’ils y croyaient réellement, sans oublier la notion de pluralité des vérités qui était chère aux années 1970 ? Une autre approche consiste à chercher dans ces histoires des réflexions sur la nature humaine, des vérités universelles sur les hommes et les femmes. Le concept du tragique, forgé par le romantisme allemand au XIXème siècle, en est un exemple. Selon cette vision, l’humanité a toujours été confrontée aux catastrophes. Le destin humain se dévoile au travers de la perte de sens et de l’illusion de la raison. Dans les années 1960, Claude Lévi-Strauss a préféré considérer les mythes comme la manifestation d’un esprit humain commun, d’une grammaire universelle.
Les mythes, témoins d’une réalité ancienne
Mais que signifient réellement ces récits ? Pourquoi ont-ils survécu pendant plus de mille cinq cents ans ? Ils doivent bien témoigner de quelque chose, d’un sens construit sur la réalité du monde des Grecs. Sinon, pourquoi perdureraient-ils ainsi ? C’est précisément cette question que Pierre Judet de La Combe explore dans son émission. Quel récit et quel(s) sens(s) se cachent derrière ces histoires ? Pour ceux qui connaissent déjà ces récits et qui les ont parfois déjà transmis à de plus jeunes, l’écoute de l’émission suscite un certain plaisir indéniable. Nous sommes plongés dans l’univers des tragédies athéniennes, écoutant sans cesse de nouvelles histoires, libérés de tout suspense puisque nous connaissons déjà les dénouements. Cette expérience unique nous permet de comprendre ce que les mythes ont signifié pour les Grecs, qu’ils y aient cru ou non.
Les enseignements des mythes grecs pour notre monde moderne
Peut-être que grâce à cette écoute attentive, le sens des mythes commencera à se former dans nos esprits, en nous reliant au monde antique. Mais en écoutant ces récits, nous réfléchissons également à notre propre monde, en associant à la fois émotion et raison. À travers les actions de Prométhée, qui a tenté de tromper Zeus et de voler le feu, l’humanité a tracé les contours de son territoire propre. Les divinités se sont éloignées, laissant les humains seuls face à leurs affaires. Bien que libres d’agir, ils sont condamnés à donner un sens à leur existence, à le construire collectivement. Les dieux sont désormais si éloignés qu’ils ne peuvent plus transmettre une interprétation définitive de ce qui est et de ce qui doit être. Alors, comment ne pas douter de ceux qui prétendent être proches des dieux ? C’est peut-être là l’un des sens profonds du mythe de Prométhée, un savoir enfoui que nous devinons à travers nos émotions. Les êtres humains sont libres d’agir, mais ils sont également condamnés à agir ensemble, acceptant de construire collectivement le sens de leur existence. Personne ne sait plus que les autres, sauf peut-être ceux qui prétendent encore vivre dans un monde où les dieux étaient présents. Aujourd’hui, les dieux rôdent et ils nous invitent à réfléchir, tout en nous donnant du plaisir.
Christophe Pébarthe,
Université Bordeaux Montaigne