Que réserve l’avenir aux Autolib’ encombrantes entassées dans le cimetière de Romorantin ?

Reportage                     Que vont devenir les encombrantes Autolib' entassées dans le "cimetière" de Romorantin ?

“Changeons le système, pas le climat”. Cette formule bien connue des écologistes est inscrite sur le capot délavé d’une Autolib’ hors d’usage, plantée comme des centaines d’autres au fond d’une zone industrielle de Romorantin-Lanthenay (Loir-et-Cher). Le pare-brise griffé reflète un soleil timide, en ce mois de mars. A bonne distance, des merles sautillent entre les longues files de véhicules endormis. Pare-chocs contre pare-chocs, ces voitures, qui incarnaient le renouveau de la mobilité urbaine, attendent de trouver preneur. Ou d’être désossées.

Un terrain vague sous surveillance

Pour comprendre comment ces citadines se sont retrouvées à Romorantin, il faut remonter au mois de juin 2018, lorsque le contrat liant le groupe Bolloré (le constructeur des Autolib’) au syndicat Autolib’ Vélib’ métropole (SAVM, l’exploitant des Autolib’) a brutalement pris fin. En cause : un déficit annuel estimé à 50 millions d’euros pour ce service de voitures électriques partagées.

Malgré les protestations du groupe Bolloré, la multinationale a dû évacuer les 4 000 Autolib’ indésirables de la région parisienne et les stocker en urgence. Elles ont ensuite été revendues en plusieurs lots et deux entreprises détiennent aujourd’hui la majeure partie de la flotte restante : la société bretonne Autopuzz, ancien sous-traitant de Bolloré, qui revend ces véhicules à travers la France, et la société Atis Production, dont le gérant, Paul Aouizerate, ne souhaite pas dévoiler ses projets pour les Autolib’ parquées dans le Loir-et-Cher.

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Mise en demeure de la préfecture

Pourtant, les activités d’Atis Production à Romorantin ont attiré à plusieurs reprises l’attention de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) du Loir-et-Cher. Deux arrêtés préfectoraux de mise en conformité ont été pris à l’encontre de l’entreprise en juillet dernier.

“Début 2020, on s’est rendu compte qu’il y avait un bâtiment sur l’ancien site Matra, dans lequel des véhicules étaient démontés puis destinés à la casse”, détaille Fabien Martin, adjoint au chef d’unité de la Dreal. “C’est une activité particulière qui nécessite d’être enregistrée.” Sommée de régulariser sa situation ou d’arrêter ce démantèlement dans un délai de six mois, la société Atis Production ne s’est pas soumise à cette requête et se trouve actuellement “dans une procédure contradictoire avec la préfecture”, explique Fabien Martin. Quant aux voitures du terrain vague, celles qui “ne peuvent plus être considérées comme des véhicules d’occasion” pourraient être “sorties de ce site”, assure-t-il.

Revente au détail pour les particuliers

Pour les véhicules de la société Autopuzz, qui dit avoir progressivement racheté environ 2 800 unités, quelques transformations sont nécessaires afin de leur offrir une seconde vie : “Une petite manipulation doit permettre aux particuliers de brancher leur véhicule sur une prise standard”, explique Pierrick Hamon, responsable de projet chez Autopuzz. “Les véhicules sont aussi nettoyés avec des moyens industriels. Il faut voir dans quel état on en a récupéré certains”, souffle-t-il.

Reconditionnées, les voitures sont vendues 4 990 euros pièce. Un tarif abordable qui peut encore descendre grâce aux aides de l’Etat en matière de prime à la conversion écologique. “Si vous apportez un véhicule thermique pour reprise [au garage], la Bluecar [nom d’origine des Autolib’] peut vous revenir à moins de 2 500 euros, détaille Pierrick Hamon, voire moins de 900 euros selon votre situation fiscale.” A ce prix, de nombreux particuliers de la région auraient déjà été séduits, comme le rapporte La Nouvelle République. Même si, avec la crise sanitaire, le rythme des ventes a considérablement ralenti et plafonne à “cinquante véhicules par mois en moyenne”, confie Guillaume Ramirez, directeur d’Autopuzz.

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Un recyclage possible, mais coûteux

Reste une interrogation. Quand elles sont mises en pièces ou accidentées, ces voitures électriques peuvent-elles encore être valorisées ? “La réponse est oui, mais il y a certains risques propres à cette énergie”, alerte Olivier Gaudeau, directeur ingénierie chez Indra, un spécialiste de la destruction de véhicules, implanté en périphérie de Romorantin. “Il faut d’abord extraire la batterie, que le groupe Bolloré propose de rapatrier gratuitement pour traitement. Ensuite, tout l’enjeu est de valoriser la matière [qui compose les éléments], car il y a très peu de pièces que l’on va pouvoir revendre, du fait d’un marché très étroit.”

En fin de vie, une Autolib’ peut donc être disséquée pour fournir des matières premières. La carrosserie en alliage d’aluminium finira fondue en lingots, les câbles et autres éléments du moteur seront triés et broyés pour récolter le cuivre qu’ils contiennent. Les moteurs de véhicule électrique peuvent également contenir des métaux issus de terres rares et des aimants, qui sont récupérables. “De nombreuses solutions existent, il faut simplement développer les bonnes filières”, préconise l’ingénieur.