Depuis deux ans, la communauté internationale et l’opinion publique se mobilisent autour du sort des Ouïghours, une minorité musulmane chinoise installée depuis plusieurs siècles dans cette région qu’ils appellent le « Turkestan oriental » et qui fait l’objet d’une campagne de sinisation par Pékin depuis le milieu du XXe siècle.
D’où viennent les Ouïghours ?
Au nombre de onze millions, les Ouïghours sont une ethnie turcophone sunnite, présente dans la province chinoise du Xinjiang, mais aussi au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Kirghizstan et en Turquie. Ils sont les descendants d’anciens nomades installés dans la région depuis le VIIIe siècle aux côtés d’autres populations, dont des Mongols, des Kazakhs et des membres de l’ethnie chinoise han, majoritaire en Chine.
Les Ouïghours sont installés dans la province du Xinjiang depuis le VIIIe siècle. À leurs yeux, « le Xinjiang est leur région et elle leur appartient », écrit Yves Lacoste dans son Dictionnaire de géopolitique.
Quand a été créée la région du Xinjiang ?
La Région autonome ouïghoure du Xinjiang est la plus grande unité administrative chinoise. Elle couvre près d’un sixième du pays et est frontalière avec huit pays. Son sous-sol est riche de ressources nombreuses (or, pétrole, uranium et gaz).
Jusqu’à l’émergence des empires russes et chinois au XVIIIe siècle, le Xinjiang constituait une mosaïque de centres intellectuels et marchands, zone de passage stratégique sur la route de la soie entre les steppes d’Asie centrale et les grandes plaines européennes.
La Chine finit par envahir la région au milieu du XVIIIe siècle, inquiète qu’elle s’allie à l’ennemi russe. Le pouvoir chinois y installe des colonies civiles et militaires et baptise pour la première fois la région Xinjiang (« Nouvelle frontière »). Dès le XIXe siècle, l’immigration des Hans y est encouragée.
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, profitant de l’affaiblissement de l’empire chinois, une série de révoltes indépendantistes aboutissent à la proclamation d’une « République islamique du Turkestan oriental ».
Les Ouïghours sont-ils toujours majoritaires au Xinjiang ?
Mais avec l’arrivée des communistes au pouvoir en 1949, la région est mise au pas. Les Ouïgours sont victimes de discriminations économiques culturelles et démographiques. Entre 1949 et aujourd’hui, ils passent de 80 % à moins de 50 % de la population du Xinjiang.
Le même processus de répression et de sinisation forcée de la région est mené au Tibet, province voisine du Xinjiang, et dans la partie mongole de la Chine, suscitant des condamnations des ONG de défense des Droits humains et de la communauté internationale.
Depuis l’accélération de ce processus, qualifié de « colonisation intérieure » par certains spécialistes, les tensions entre le pouvoir et la population se sont progressivement exacerbées. En 2009, la colère des Ouïghours, se sentant dépossédés de leur culture et de leur religion, a mené à des affrontements violents à Urumqi, capitale du Xinjiang, suivis d’une violente répression.
Quelle religion pratiquent les Ouïghours ?
Les Ouïghours sont des musulmans sunnites modérés. Ils constituent la deuxième minorité musulmane chinoise après celle des Huis. L’islam est présent au Xinjiang dès le Xe siècle, mais il se développe surtout à partir du XVe siècle, période à laquelle les Ouïghours se convertissent massivement.
Depuis les années 1990, le Xinjiang est confronté à la montée de l’influence des groupes islamistes. Des Ouïghours sont ainsi partis combattre en Tchétchénie, en Irak. En 2002, l’armée américaine arrête 200 Ouïghours engagés dans les rangs d’Al-Qaida en Afghanistan.
Au nom de l’islam radical, mais aussi de la cause indépendantiste, certains groupes violents commettent une série d’attentats dans les années 1990. La lutte contre le terrorisme entre alors dans le vocabulaire du parti communiste chinois. En son nom, des universitaires, militants politiques et étudiants ouïghours sont arrêtés et condamnés à de lourdes peines.
Aujourd’hui, la mouvance islamiste ouïghoure est jugée comme très minoritaire et peu influente sur place. La lutte contre le terrorisme islamiste est toutefois toujours brandie depuis maintenant trois décennies par le pouvoir central chinois pour justifier sa politique de répression.
Inégalement répandues dans la province, les restrictions aux pratiques religieuses n’ont cessé de s’accentuer – campagne contre le port du voile intégral ou celui de la barbe -, allant jusqu’aux interdictions ou limitations d’observer le jeûne durant le Ramadan pour les fonctionnaires et les étudiants.
Quelle est la situation des Ouïghours aujourd’hui ?
Les associations de défense des Droits humains dénoncent cette politique d’assimilation forcée et la répression sévère de la culture et de la religion Ouïghoure dans cette immense province, devenue peu à peu une zone militarisée inaccessible sans autorisation spéciale, très rarement accordée.
D’après Amnesty International, plus d’un million d’Ouïghours seraient aujourd’hui détenus de façon arbitraire dans des centres de rééducation politique. Dans ces camps, femmes, enfants, hommes, travailleraient parfois pour des sous-traitants chinois de grandes marques occidentales. Certains disparaîtraient purement et simplement. Niant ces accusations, Pékin parle de centres de formation, s’inscrivant dans le cadre de sa lutte contre le terrorisme.