Jean Rondeau reste à ce jour le seul natif du Mans à avoir construit et piloté sa propre voiture pour remporter les 24 Heures du Mans. Trente ans après sa mort dans un accident de la route, DSC revient sur les réalisations de Rondeau en tant que pilote et constructeur.
Le début de la carrière de Rondeau au Mans
La carrière de Rondeau aux 24 Heures du Mans a commencé au début des années 1970 lorsqu’il a réussi à obtenir des places de pilote sur des voitures privées modestes. Sur quatre éditions (de 1972 à 1975), il n’a franchi la ligne d’arrivée qu’une seule fois et était généralement déçu à la fois par les résultats et par la qualité des voitures qu’il conduisait. Les proches et les amis de Rondeau s’accordent à dire que cette insatisfaction a nourri son désir de construire sa propre voiture en 1975, lorsque les nouvelles réglementations GTP permettaient la production de voitures prototypes relativement simples et abordables.
La naissance des voitures Inaltera
Rondeau et quelques amis ont produit une première esquisse du prototype à l’automne 1975 et ont en partie financé sa promotion grâce à une opération de financement participatif local. La campagne s’est avérée un succès, attirant l’attention du nouveau PDG d’Inaltera (un fabricant de papier peint), Charles James. James souhaitait promouvoir Inaltera en utilisant des moyens offrant un retour sur investissement plus rapide que les médias traditionnels. Avec la fin de la course de Matra après Le Mans 1974 et le départ de Ligier après Le Mans 1975, James pensait que, malgré leur absence totale d’expérience, l’équipe de Rondeau pourrait l’aider à atteindre ses objectifs et devenir les nouveaux “bleus” avec des voitures Inaltera.
Des résultats impressionnants
Grâce à un financement adéquat et à une présentation convaincante, trois des meilleurs pilotes français de l’époque ont été recrutés : Jean-Pierre Beltoise, Henri Pescarolo et Jean-Pierre Jaussaud. En moins de huit mois, deux voitures Inaltera ont été construites à partir de zéro. Beltoise/Pescarolo sur Inaltera #1 ont finalement terminé 8e, remportant la catégorie GTP aux 24 Heures du Mans 1976.
La consécration de Rondeau
En 1977, Rondeau a confirmé l’excellente performance de la voiture observée en 1976, avec Ragnotti/Rondeau terminant 4e et remportant une fois de plus la catégorie GTP aux 24 Heures du Mans.
La saison 1978 a commencé de manière dramatique. Malgré une augmentation de près de 40% des ventes d’Inaltera depuis le début de l’aventure du Mans, le fabricant de papier peint a mis fin au programme d’endurance de Rondeau et a brusquement vendu tous les actifs liés. Le châssis, les moteurs, les roues, les outils et l’argent ont tous disparu du jour au lendemain, laissant Rondeau sans rien. Avec le soutien de SKF, il a miraculeusement réussi à construire une voiture, la Rondeau M378, et a participé aux 24 Heures du Mans. Malgré des moyens très limités, il a réussi à remporter une troisième victoire consécutive dans la catégorie GTP et à terminer à la 9e position au classement général.
La victoire de Rondeau en 1980
La saison 1979 a vu Rondeau se rapprocher des leaders avec la nouvelle M379 pilotée par les pilotes de rallye Ragnotti/Darniche, qui ont terminé 5e au classement général et 1er dans la catégorie Groupe 6. L’équipe s’est ensuite concentrée sur l’amélioration de la fiabilité globale du package afin d’en faire une voiture gagnante aux 24 Heures du Mans.
En 1980, Rondeau et Jaussaud ont pris la tête de la course sous la pluie battante, cinq heures avant le drapeau à damiers. “Jean Rondeau avait déjà été dans le bac à graviers ce matin-là et ses temps au tour ne cessaient de ralentir”, se souvient Jaussaud. “Jacky Ickx se rapprochait (regagnant parfois une minute par tour), nous avons donc dû amener Jean aux stands. J’ai pris le relais. J’ai découvert après la course que Jean était complètement épuisé et déshydraté. Il était en dialyse pendant que je finissais la course. Les conditions météorologiques étaient vraiment imprévisibles cette année-là. Vers la fin de la course, j’ai fini par faire un tête-à-queue à Arnage sans toucher les barrières. La chance était avec nous ce jour-là et nous avons enfin gagné.”
Les années difficiles
Porsche a pris sa revanche en 1981, avec la victoire d’Ickx/Bell, tandis que Haran/Streiff/Scheisser et Migault/Spice ont terminé respectivement 2e et 3e sur une nouvelle version de la voiture Rondeau gagnante de 1980. Rondeau se souviendra de cette année comme étant remplie de tristesse et de douleur, car l’un de ses pilotes, Jean-Louis Lafosse, a perdu le contrôle de sa voiture dans les Hunaudières et est décédé.
En 1982, Rondeau visait non seulement la victoire aux 24 Heures du Mans, mais aussi le championnat du monde des voitures de sport. Pour atteindre cet objectif, il a décidé d’investir dans une nouvelle voiture, la Rondeau M482, avec le soutien officiel de Ford. Après avoir compris que la voiture était peu compétitive et qu’elle devait être davantage développée, Rondeau est revenu à une entité connue : la Rondeau M382, une version améliorée de la M379. Porsche a finalement remporté le championnat avec sa nouvelle 956, mais seulement grâce à l’interprétation opportuniste des réglementations floues du Groupe C. “C’était totalement injuste pour nous. Nous méritions ce championnat”, se souvient Brosse. Il y avait peu de concurrence au Mans cette année-là, avec les trois Porsche d’usine qui se partageaient le podium. La première Rondeau a terminé 10e, cinquante-trois tours derrière la voiture gagnante d’Ickx et Bell. C’était un signe évident que la concurrence progressait tandis que Rondeau stagnait.
La fin tragique
Le développement de la mal conçue M482 a continué en 1983, mais la voiture n’a jamais été plus rapide que la puissante M382 au Mans et sa fiabilité était médiocre. Les trois voitures d’usine Rondeau ont abandonné après une course anonyme.
Après deux années consécutives sans résultats tangibles au Mans, Rondeau a commencé à manquer d’argent. Sa situation ne s’est jamais vraiment améliorée et son entreprise était en agonie financière pendant près de deux ans. “Automobiles Rondeau” a finalement été liquidée en mai 1985. Cependant, Rondeau a continué à courir au Mans : il a terminé 2e avec John Paul Jr sur une Porsche 956 en 1984 et a terminé 17e sur une WM Peugeot en 1985.
Quant à sa carrière de constructeur, elle était loin d’être terminée. Il s’est impliqué dans au moins trois projets importants. Il a testé une toute nouvelle voiture GT française à laquelle lui et son ancienne équipe avaient apporté une contribution significative : la Venturi (que les fans verront courir au Mans au milieu des années 1990). Il a également travaillé sur le soutien aux prototypes Lancia pour la saison sportive 1986. Enfin, il envisageait de fabriquer des voitures au Royaume-Uni. “Jean était fasciné par ces jeunes pilotes britanniques très rapides”, se souvient Brosse. “Il voulait les aider à progresser vers la F1. À cette fin, il pensait sérieusement à produire des Formula Fords au Royaume-Uni un jour.” Mais ce projet n’a jamais abouti. Tragiquement, Rondeau est décédé à l’âge de 39 ans au volant de sa Porsche 944, percutée par un train.
Mat Fernandez (@matlemans) Avec les aimables remerciements de Marjorie Brosse et Jean-Pierre Jaussaud