Avec la pandémie mondiale de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les termes de sécurité alimentaire et de souveraineté alimentaire sont plus présents que jamais. Ces concepts font désormais partie intégrante des débats politiques, géopolitiques, juridiques et socio-économiques. Il est crucial de les comprendre en profondeur et de bien saisir leurs différences.
Comprendre la sécurité alimentaire
La sécurité alimentaire est un objectif fondamental qui vise à assurer l’accès à la nourriture pour l’ensemble de la population d’un territoire. Il ne faut pas confondre ce concept avec le secteur agricole ou la façon dont les denrées alimentaires sont produites. La sécurité alimentaire a été définie lors du Sommet mondial de l’alimentation en 1996 à la FAO :
“La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active.”
Chaque mot de cette définition est essentiel et reflète toute la complexité de la faim. La sécurité alimentaire ne se limite pas à la quantité de nourriture disponible, car nous produisons suffisamment de calories pour nourrir toute la population mondiale. C’est un phénomène multidimensionnel qui dépend des capacités économiques, physiques et logistiques des individus, ainsi que des facteurs culturels. La qualité nutritionnelle de notre alimentation est également essentielle. Il est crucial d’avoir accès à des aliments sains et nutritifs. En effet, plus de 2 milliards de personnes dans le monde sont en surpoids, dont 700 millions sont obèses.
L’insécurité alimentaire en augmentation depuis 2019
L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la pandémie de COVID-19 ont exacerbé les difficultés d’accès à une alimentation saine pour des millions de personnes. Cependant, il est important de distinguer les effets conjoncturels de ces événements dramatiques des caractéristiques structurelles de l’insécurité alimentaire. Des millions de personnes sont confrontées à l’insécurité alimentaire au quotidien, qu’il y ait une arme alimentaire russe ou non.
Depuis 2019, plus de 150 millions de personnes supplémentaires ont été touchées par la faim, portant le nombre total de personnes touchées à près de 830 millions en 2021. Selon la FAO, en 2021, en Afrique, une personne sur cinq était confrontée à la faim (278 millions de personnes). L’Asie, l’Amérique du Sud et les Caraïbes connaissent également des taux élevés d’insécurité alimentaire. Il est important de noter que 80% des personnes souffrant de la faim vivent dans des zones rurales, et les petites exploitations familiales, qui fournissent la majeure partie de l’alimentation mondiale, sont les plus touchées. La sécurité alimentaire est donc étroitement liée au développement agricole et à la prospérité des zones rurales.
Souveraineté alimentaire : une redéfinition des politiques agricoles
Le concept de souveraineté alimentaire est apparu dans les années 1980 en réaction à la vision globale et axée sur les marchés de la sécurité alimentaire. À cette époque, de nombreux pays africains nouvellement indépendants visaient la production alimentaire pour nourrir leur population et atteindre l’autosuffisance alimentaire. Cependant, dans les années 1980, avec la libéralisation des échanges et l’endettement croissant des pays africains, l’objectif a changé. Il fallait désormais produire pour obtenir des devises afin d’importer des denrées alimentaires manquantes sur les marchés internationaux. La sécurité alimentaire est alors devenue une question de marché, de libre circulation des produits et de spécialisation des systèmes de production.
En 1996, lors du Sommet mondial de l’alimentation à Rome, la Via Campesina, un mouvement paysan international, a introduit une définition de la souveraineté alimentaire :
“La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité à produire son alimentation, facteur essentiel de la sécurité alimentaire au niveau national et communautaire, tout en respectant la diversité culturelle et agricole.”
La souveraineté alimentaire repose sur des principes et des leviers d’action tels que l’approche par les droits, la réforme agraire, l’accès aux financements, la protection des ressources naturelles, des pratiques durables de production, la réorganisation du commerce alimentaire et la remise en question de la mondialisation de la faim. Elle remet également en question les politiques agricoles et commerciales jugées néfastes pour les revenus des producteurs, la sécurité alimentaire et l’environnement.
Différencier souveraineté et autosuffisance alimentaire
Il est crucial de ne pas confondre la souveraineté alimentaire avec l’autonomie ou l’autosuffisance alimentaire. La souveraineté alimentaire implique une capacité stratégique des acteurs à gérer leur dépendance et à mettre en œuvre des politiques adaptées. L’autonomie se réfère à la capacité de fonctionner indépendamment des autres, ce qui est peu réaliste dans un contexte de problèmes mondiaux tels que le changement climatique. L’autosuffisance désigne une situation dans laquelle un pays ou un individu dispose de ressources suffisantes pour répondre à ses besoins. À l’ère de la mondialisation, l’autonomie ou l’autosuffisance alimentaire semblent utopiques, à moins que nous ne révolutionnions nos modes de vie. Seuls quelques pays sont en mesure de produire tous les aliments dont ils ont besoin en permanence.
Il est important de comprendre que la souveraineté alimentaire n’exclut pas le commerce ou les échanges. Ils peuvent être des outils pour atteindre la sécurité alimentaire. La souveraineté alimentaire est largement compatible avec la mondialisation si celle-ci est guidée par le bien-être des producteurs, des consommateurs et la protection des ressources naturelles. Elle nécessite une stratégie qui prend en compte ce qui peut être produit et consommé localement, ce qui ne peut pas l’être (en diversifiant les sources d’approvisionnement) et ce dont les autres peuvent dépendre pour leur sécurité alimentaire (exportations).
Le rôle de la consommation locale dans la souveraineté alimentaire
La consommation locale est souvent présentée comme un moyen d’atteindre la souveraineté alimentaire tout en réduisant l’empreinte carbone individuelle. Encourager la consommation locale soutient les producteurs, le développement des territoires et une répartition plus équitable de la valeur ajoutée. Cependant, cela a une incidence marginale sur la durabilité écologique de l’alimentation. Au niveau mondial, le transport des denrées alimentaires ne représente que 5% des émissions de gaz à effet de serre du système alimentaire mondial. En France, il représente 13,5% des émissions de gaz à effet de serre de notre alimentation. Ce qui a le plus d’impact sur le bilan carbone de notre alimentation, c’est le mode de production. La solution réside dans une redéfinition de nos pratiques alimentaires, en privilégiant les aliments de saison, produits localement et de manière durable, tout en rémunérant équitablement les producteurs.
Souveraineté alimentaire : une question politique
Il est important de ne pas confondre la souveraineté alimentaire avec l’autonomie, l’autosuffisance ou le localisme. Cette confusion peut conduire à une instrumentalisation politique des questions alimentaires. La souveraineté alimentaire ne doit pas être utilisée comme un prétexte pour le repli sur soi, mais plutôt comme un moyen de coopération et de compréhension collective des interdépendances entre les peuples. Les défis de la faim, du changement climatique et de la prospérité sont des enjeux communs qui nécessitent des réponses concertées à différentes échelles.
En résumé, la sécurité alimentaire est un état qui consiste à avoir suffisamment de nourriture de qualité, tandis que la souveraineté alimentaire interroge les politiques nécessaires pour atteindre cet état. Ces deux notions sont mondiales et ne concernent pas seulement les pays en développement. Après la pandémie et la guerre en Ukraine, d’autres problèmes tels que les canicules et la sécheresse soulèvent des inquiétudes quant à notre capacité à nous nourrir. Il est essentiel de trouver des solutions pour faire face à l’insécurité alimentaire croissante et de mettre en place des politiques alimentaires durables et inclusives.