Un rapport dévoile les pratiques peu reluisantes de Shein
Fin 2020, l’ONG suisse Public Eye s’est lancée dans une enquête sur l’origine des produits de la marque de mode à bas prix Shein. Aujourd’hui, elle publie un rapport qui met en lumière une stratégie de sourcing peu transparente, avec des fournisseurs plus petits que prévu, dans des locaux mal sécurisés et où les travailleurs sont soumis à des semaines de travail de plus de 75 heures. Pour l’instant, Shein n’a pas réagi à ce document.
Le rythme et la variété des commandes imposeraient chez les fournisseurs de Shein un certain niveau d’expérience et de savoir-faire – Public Eye
Une montée en puissance fulgurante
En seulement un an, Shein s’est hissée à la sixième place des sites de vente en ligne de vêtements en France, derrière Zalando, Amazon, Vinted, Veepee et ShowroomPrivé, selon Kantar. Bien que peu connu du grand public, ce site de mode à bas prix a connu une popularité fulgurante auprès des adolescents et des jeunes adultes, offrant un style similaire à Aliexpress. D’ailleurs, la maison mère de Shein, le chinois Alibaba, a récemment lancé son propre portail, AllyLikes, pour contrer la montée en puissance de ce concurrent.
C’est dans ce contexte que Public Eye, une ONG suisse qui a pour mission d’éclairer les zones d’ombre du commerce international, a décidé de mener des investigations sur l’origine des produits proposés par Shein. Grâce à des organisations de défense des travailleurs en Chine, dix-sept fournisseurs de Shein ont été identifiés dans la ville de Guangzhou, un centre textile important au nord de Hong Kong. Les enquêteurs ont pu interroger dix travailleurs, dont sept femmes, qui occupaient différents postes dans six usines, allant de la couture à la découpe en passant par le contrôle qualité, l’emballage et le repassage.
Des conditions de travail préoccupantes
Tous les employés interrogés travaillaient depuis moins d’un an pour leur entreprise et venaient d’autres provinces. Comme c’est souvent le cas dans l’industrie textile chinoise, les fabricants font appel à des travailleurs issus de provinces où les salaires sont les plus bas. Une fois leur contrat terminé, ces travailleurs retournent dans leur famille en espérant générer un maximum de revenus. Dans trois des usines interrogées, la semaine de travail moyenne dépassait les 75 heures.
Les fournisseurs visités présenteraient de graves lacunes en termes de sécurité, dans des immeubles initialement dédiés au logement – Public Eye
Ce nombre d’heures de travail est en contradiction avec le code de conduite publié par Shein en septembre dernier, qui s’applique à ses fournisseurs. Il est également en violation de la loi chinoise, qui prévoit un maximum de 40 heures de travail par semaine et 36 heures supplémentaires par mois. En travaillant “pour deux”, ces travailleurs payés à la pièce seraient ainsi rémunérés environ 10 000 yuans (1 370 euros) lors des périodes de forte demande.
Des lieux de production insécurisés
L’enquête de Public Eye soulève également des questions sur la sécurité des lieux de production. Dans le district de Panyu, le “village de Nancun” abrite plus d’une dizaine d’unités de production, installées dans d’anciens immeubles d’habitation. Selon l’un des propriétaires d’usine interrogés, tout le village serait dédié à la production pour Zoetop, la maison mère de Shein. Les enquêteurs ont été surpris par cette situation, car normalement, ces petits ateliers informels fabriquent des vêtements pour les marchés locaux. Les distributeurs internationaux préfèrent généralement des usines plus grandes et mieux réglementées.
À l’intérieur de ces petites usines, les couloirs sont encombrés de sacs et de rouleaux de tissus. En cas d’incendie, cela pose un problème d’évacuation, d’autant plus qu’il n’y a pas de portes de secours et que les fenêtres des étages sont protégées par des grilles. Dans l’un de ces sites, qui emploierait plus de 200 personnes réparties sur sept étages, une banderole proclame que c’est le “fournisseur principal de Zoetop”, fournissant 1,2 million de pièces par mois. Ces conditions rappellent les paramètres qui ont conduit à l’effondrement du Rana Plaza en 2013 au Bangladesh.
Selon les employés interrogés, Shein commande rarement plus de 200 pièces d’un même modèle – Public Eye
Des méthodes de production modernes
Malgré ces conditions précaires, Shein utilise des méthodes de production modernes. L’entreprise diffuse ses appels d’offres via WeChat, une application chinoise qui sert à tout (commerce, paiement, réseau social, rencontres, etc.). Les commandes, pouvant aller jusqu’à 100 ou 200 pièces, doivent être livrées dans des délais serrés. Shein adapte les quantités en fonction des effectifs déclarés quotidiennement par les usines. La préférence pour du personnel expérimenté plutôt que des débutants est liée à la nécessité d’avoir des équipes capables de travailler sur une succession rapide de pièces nécessitant des compétences différentes.
Précarité et salaires bas
Les travailleurs interrogés à Nancun et dans les usines voisines du Honghui Properties Building sont préoccupés par le non-paiement des cotisations de sécurité sociale, qui est pourtant obligatoire selon la loi. Selon le rapport, la plupart des personnes interrogées seraient satisfaites de leur emploi, mais elles ne se posent pas beaucoup de questions à ce sujet. Les spécialistes de la production locale confirment que la grande précarité du secteur textile chinois laisse peu de chances aux travailleurs de trouver un emploi ailleurs, même pour ceux qui ont de l’expérience et qui sont nécessaires au modèle de Shein.
Ce qui inquiète surtout les travailleurs interrogés, c’est la baisse constante du tarif à la pièce ces derniers temps. De plus, les articles fabriqués dans ces ateliers deviennent de plus en plus complexes, et les commandes simples sont sous-traitées dans d’autres provinces où les salaires sont plus bas. Les conditions de travail et les salaires dans ces endroits restent inconnus.
Shein ajuste les quantités commandées en fonction du nombre de travailleurs présents, communiquées quotidiennement par ses fournisseurs – Public Eye
Un salaire trompeur
Selon la presse chinoise, Shein repose sur environ 300 à 400 “principaux fournisseurs” dans le district de Panyu, auxquels s’ajoutent les sous-traitants. Bien que Shein prétende mettre en place un programme d’audit, Public Eye n’a trouvé aucun témoin de ces audits. Cependant, le rapport précise qu’il a trouvé une indication de salaire minimum affichée sur l’un des sites visités : 55 euros pour la découpe, 69 euros pour l’emballage et 96 euros pour le repassage.
Le rapport conclut en soulignant que le chiffre du salaire mensuel de 5 410 yuans peut prêter à confusion, car cela correspond en réalité à deux emplois. Shein profite de la précarité des travailleurs, prêts à accepter des conditions de travail défavorables et à renoncer à leur sécurité, leur liberté et leur qualité de vie faute d’alternatives.
Note : Cet article se base sur un rapport publié par l’ONG Public Eye et ne reflète pas nécessairement les opinions de tous les acteurs impliqués.