Début juillet 2022, plusieurs journalistes d’investigation, dont ceux du Monde et de Radio France, ont mené une enquête révélant comment Uber a brutalement imposé son emprise dans plusieurs pays, dont la France. Un an plus tard, le rapport de la commission parlementaire a confirmé les principaux points de cette affaire, connue sous le nom de “Uber Files”. Ces révélations sont basées sur les témoignages de Mark McGann, lobbyiste en chef d’Uber pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient, qui raconte comment les lois ont été contournées avec l’aide du ministre de l’Économie de l’époque, Emmanuel Macron. Ce scandale met en lumière les relations de pouvoir, l’influence et la corruption qui sous-tendent le capitalisme contemporain.
(Article initialement publié le 22 juillet 2022, mis à jour le 18 juillet 2023)
1 – L’ubérisation du travail
Uber, créée en Californie en 2009, a bouleversé le monde du travail. Plutôt que de salarier des chauffeurs, l’entreprise a opté pour un modèle où elle agit comme une plateforme en ligne mettant en relation des chauffeurs indépendants et des clients cherchant un service moins cher. Ce modèle économique permet à Uber de se dégager de toute responsabilité sociale. Les chauffeurs sont considérés comme “leurs propres patrons”, responsables de leur protection sociale, de leurs coûts de fonctionnement et sans congés payés. L’ubérisation est un processus qui s’attaque au salariat en favorisant une relation d’indépendance théorique permise par une application, tout en déresponsabilisant le patronat vis-à-vis de ses salariés.
Uber s’est implantée en France en 2011, profitant du statut d’auto-entrepreneur créé par le gouvernement de Nicolas Sarkozy en 2009. La loi de 2009 a également déréglementé la profession de chauffeur de Véhicule de Tourisme avec Chauffeur (VTC). Uber a exploité ces évolutions législatives pour proposer un accord aux chauffeurs : en créant leur auto-entreprise et en devenant chauffeurs VTC, ils devaient assumer eux-mêmes les coûts liés à leur véhicule, leur assurance et leur protection sociale, en échange d’un afflux constant de clients.
Cependant, ce modèle s’est avéré désavantageux pour les chauffeurs au fil du temps. Les commissions prélevées par Uber ont augmenté tandis que le marché devenait plus concurrentiel et moins rémunérateur. De plus, les pratiques d’Uber et de ses concurrents ont été contestées dans de nombreux pays, où la justice a estimé qu’il s’agissait en réalité d’une relation employeur-employé déguisée, privant les chauffeurs des avantages liés au salariat.
2 – L’implantation d’Uber en France
Uber s’est imposée en France grâce à la violence, à l’illégalité et à la guerre idéologique. L’ancien PDG d’Uber, Travis Kalanick, affirmait sans détour que “la violence garantit le succès”. La technique principale d’Uber a consisté à s’implanter illégalement et à appliquer des règles illicites dans le but de les faire reconnaître a posteriori.
Un exemple frappant est celui du service Uberpop lancé en France en février 2014. Contrairement au statut de VTC qui était requis pour devenir chauffeur Uber, Uberpop permettait à toute personne âgée de plus de 21 ans et possédant une voiture personnelle de devenir “covoitureur” en échange d’un “pourboire” au lieu d’un vrai tarif. Ces tarifs extrêmement bas ont attiré une nouvelle clientèle qui ne pouvait pas se permettre de prendre un taxi. Cette concurrence déloyale a conduit à des confrontations entre les chauffeurs de taxis et les chauffeurs Uberpop. L’entreprise était au courant de cette situation mais l’a volontairement laissée s’envenimer afin de profiter politiquement du conflit Uber/taxis et présenter les chauffeurs de taxi comme archaïques et corporatistes.
La stratégie d’Uber a été soutenue par une intense propagande médiatique. L’entreprise a fait appel à une société spécialisée dans l’écriture et la diffusion d’articles pour favoriser l’émergence d’un point de vue favorables à Uber. Ces articles ont été publiés sur les blogs de Mediapart, Challenges, Les Echos et Le Journal du Net. Ils ont dépeint la profession de taxi comme sclérosée et privilégiée, tandis qu’Uber était présentée comme une entreprise innovante et ouverte sur le monde. Cette société spécialisée dans la diffusion de faux articles s’appelait Avisa Partners (anciennement iStrat) et avait pour directrice associée Olivia Grégoire, qui est aujourd’hui ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.
3 – Le rôle d’Emmanuel Macron dans le succès d’Uber
Emmanuel Macron a joué un rôle central dans le succès d’Uber en France. Les “Uber Files” révèlent que lorsqu’il était ministre de l’Économie, Macron a soutenu activement Uber et a rencontré secrètement le PDG de l’entreprise, Travis Kalanick, à plusieurs reprises entre 2014 et 2017 (ces rencontres ne figuraient pas sur son agenda officiel). Des liens étroits étaient déjà perceptibles à l’époque, notamment lorsque des heurts ont éclaté en 2015 entre les chauffeurs Uberpop et les taxis. Macron avait alors déclaré que bien que le service Uberpop soit “illégal”, il fallait “arrêter cette polémique archaïque” et reconnaître l’innovation dans le secteur du transport.
Les liens entre Macron et Uber vont bien au-delà de ce qu’un représentant de l’État devrait avoir. Les membres de son cabinet étaient tous favorables à Uber, au point qu’un futur député LREM a pu demander à son cabinet de recommander son CV au siège de l’entreprise. Macron a multiplié les promesses en faveur de Travis Kalanick, garantissant une protection contre les contrôles administratifs et discutant d’une stratégie parlementaire pour légitimer des mesures favorables à Uber.
Pour réaliser ces objectifs, Macron a demandé aux lobbyistes d’Uber d’envoyer des amendements clé en main à des députés recommandés par lui lors de l’examen de sa loi Macron. L’idée était que ces amendements soient rejetés, permettant à Macron de proposer des ajustements ultérieurs dans un décret dédié. Cette stratégie a permis de réduire la durée de la formation nécessaire pour obtenir une licence de VTC de 250 à 7 heures.
Les “Uber Files” révèlent également que Macron et Mark McGann, le lobbyiste d’Uber, sont devenus proches. McGann s’est engagé aux côtés de Macron pour collecter des fonds pendant sa campagne présidentielle de 2017. Ces liens étroits entre Macron et Uber ont été confirmés par la commission parlementaire chargée d’enquêter sur le scandale.
4 – L’impact d’Uber sur l’emploi et le chômage des jeunes
Les études médiatisées sur la création d’emplois par Uber ont été commandées et biaisées par l’entreprise elle-même. Après plus de 10 ans d’existence, Uber continue de perdre de l’argent chaque année, mais dispose de nombreux investisseurs qui continuent de soutenir l’entreprise.
En France, Uber a attiré de nombreuses personnes désireuses de devenir indépendantes et de bénéficier des revenus avantageux promus par l’entreprise, notamment grâce à une campagne publicitaire ciblant les banlieues. Après avoir captivé des milliers de chauffeurs (Uber revendique 30 000 “partenaires” pour seulement 150 employés), la plateforme a augmenté sa commission de 20 à 25% en 2016, sans possibilité de négociation. Cette diminution des revenus a entraîné des mobilisations de chauffeurs, sans succès.
Sans les garanties du salariat ni la liberté de l’entrepreneuriat, les chauffeurs Uber doivent travailler au moins 45,3 heures par semaine pour espérer un revenu mensuel net de 1 617 euros, loin des “deux fois le SMIC” annoncés par l’étude de Landier et Thesmar reprise par de nombreux médias. Ce revenu théorique est difficilement atteignable pour la plupart des chauffeurs, qui doivent faire face aux aléas de la vie tels que les vacances et les maladies. Les représentants de la profession décrivent cette situation comme une “esclavage numérique”.
5 – Les leçons du scandale Uber sur le macronisme, les médias et le capitalisme
Le scandale Uber souligne le fait que Macron est au pouvoir pour favoriser les intérêts agressifs de la classe dominante. Face à Uber, il a contourné les règles et favorisé l’entreprise en utilisant ses connaissances du fonctionnement de l’administration et du Parlement. Le parallèle entre Macron et Travis Kalanick est frappant. Tout comme Uber, Macron n’hésite pas à provoquer le chaos pour avancer ses idées.
Macron a obtenu le soutien actif de consultants ou d’entreprises comme Uber en échange de ses services. C’est ainsi qu’il a pu collecter une quantité importante d’argent en un temps record. La victoire de Macron repose sur le soutien du capitalisme technologique et des entreprises qui échappent à l’impôt, et non sur les intérêts de la population.
L’influence d’Uber sur les institutions dévoile les faiblesses de notre système politique, ouvert aux lobbyistes de tous horizons. Uber a facilement accès aux hauts fonctionnaires, aux chefs de gouvernement et aux chefs d’État. Cette situation met en lumière l’unité de la classe dominante, qu’elle soit présente dans le secteur public ou privé, agissant de concert pour favoriser ses intérêts.
En conclusion, il est temps de passer à l’action et d’arrêter d’être de simples spectateurs face aux manœuvres agressives de la classe bourgeoise. Il est urgent de se mobiliser et de faire entendre notre voix. La bourgeoisie utilise des stratégies efficaces pour défendre ses intérêts, et nous devons répliquer. La survie de notre modèle social et de notre société est conditionnée par la chute du capitalisme et de sa classe dominante.
Rédigé par Nicolas Framont
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