Traversée de l’Atlantique : interview de deux marins

Traversée de l’Atlantique : interview de deux marins

Eh bien, ça y est, c’est fait ! Nous avons réussi notre traversée de l’Atlantique en 15 jours, 3 heures et 15 minutes, à bord de notre Océanis 390, depuis Mindelo au Cap-Vert jusqu’à Charlotteville à Tobago. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la voile, et même pour ceux qui naviguent sans jamais avoir traversé un océan, cette aventure reste un peu mystérieuse. Est-ce que c’est long ? Comment occuper son temps ? Qui dort quand ?…

Pour répondre à toutes ces questions, nous avons décidé de partager notre expérience avec vous, sous la forme d’une interview, en partageant nos deux points de vue. Nous espérons que cela vous rassurera et démystifiera un peu ce périple !

Bilan des chiffres :

  • Distance parcourue : 2138 milles nautiques
  • Durée totale : 15 jours 3 heures et 15 minutes
  • Vitesse moyenne : 5,88 nœuds
  • Meilleure distance sur 24 heures : 165 milles
  • Nombre d’heures moteur : 57,8 heures au ralenti, juste pour recharger les batteries à cause de nos problèmes de panneaux solaires
  • Manœuvres : 2 empannages voulus, 5 non désirés, 3 jours sous spi
  • Température de l’eau au milieu de l’Atlantique : 28°C (!!)
  • Température de l’eau à Tobago : 29,5°C
  • Bateaux : 5 cargos croisés et quelques voiliers les quatre premiers jours
  • Animaux : 2 baleines, un banc de dauphins mais surtout une infinité de poissons volants et d’oiseaux
  • Pêche : 5 poissons dont 3 dorades coryphènes, un wahou et un barracuda
  • Heure : UTC-1 au Cap-Vert et UTC-4 à Tobago

Est-ce qu’on s’ennuie ?

Damien : C’était ma principale question avant de partir… 15 jours en mer dans un espace restreint avec Anaïs pour seul compagnon, ça peut faire peur ! Mais finalement, c’est une certaine monotonie qui s’installe et les journées passent très vite. Notre journée type est organisée autour des repas et des quarts la nuit. On adore réfléchir au repas du jour suivant, on prend notre temps pour cuisiner et arrive le moment de manger ! 3 fois par jour ça fait passer le temps déjà.

Ensuite, on trouve des occupations sympas, on lit, on fait des siestes, je pêche et si ça mord je prends au moins 1h pour découper le poisson, puis 1h pour cuisiner ou préparer le poisson ! Il ne faut pas oublier aussi la grosse demi-heure de nettoyage du bateau (et de moi-même) couvert de sang et d’entrailles de poisson. Ça prend tellement de temps que je préférais m’abstenir de pêcher certains jours.

On a passé au moins une heure par jour à jouer aux jeux de société (bon, toujours les mêmes, ça commençait à devenir lassant). Et enfin, à cause de problèmes d’énergie, j’ai passé beaucoup de temps à la barre pour économiser les batteries, parfois c’était long et parfois c’était un régal de tenter les surfs sous les étoiles !

À lire aussi  Comment se débarrasser des moucherons des plantes d’intérieur ?

Anaïs : C’était l’une de mes plus grandes préoccupations ! Pour nos deux précédentes traversées (Gibraltar – Canaries et Canaries – Cap-Vert), j’avais lu et regardé des séries mais je n’avais jamais réussi à en profiter pleinement, ni d’ailleurs à me détendre pendant le voyage. Trop d’appréhension peut-être, les conditions qui ne s’y prêtent pas (on était souvent mouillé), trop d’impatience à arriver… Du coup, je me suis préparée à fond cette fois-ci avant le départ et je ne le regrette pas ! C’est ce qui m’a permis de vivre cette traversée et non de l’endurer, je pense.

  • Livres triés et chargés sur les liseuses. J’en ai lu plus d’une dizaine ! Merci Mojo II pour nous en avoir prêté plein avant le départ !
  • Films et mangas en dessin-animé prévus sur le téléphone portable
  • Bracelets brésiliens à réaliser. Merci, Karémo et Vitavi pour l’idée
  • Playlists de musiques créées en amont
  • Jeux de société prêts à être dégainés. On a disputé de nombreuses parties de Duel (7Wonders) et je gagnais très souvent, ce qui n’est pas pour me déplaire ! Et puis, on a bien épuisé le Tamoul aussi, un jeu de cartes qui se joue à deux, qu’on a appris à Mindelo grâce à un couple Teresa et Julien.

Et au final, quand on ne sait plus quoi faire, il y a bien sûr les repas qui heureusement revenaient vite. Ça rythmait bien nos journées, un peu comme un trajet en avion où on n’attend que ça !

On passait aussi du temps à regarder la mer, plongés dans nos pensées. Ça attire l’œil, toute cette immensité bleue, on repère les oiseaux, les poissons volants, etc. Enfin, je faisais en moyenne une sieste d’1h30 par jour, là aussi plus pour passer le temps que vraiment par fatigue.

Comment on organise les quarts avec un équipage de deux personnes ?

Damien : On a décidé pour cette transat de faire des quarts de 3 heures. Et ça a très bien marché, on préfère désormais ce fonctionnement aux quarts de 2 heures que l’on faisait avant. Il permet de ne se réveiller que 2 fois dans la nuit, car au final ce n’est pas le manque de sommeil qui rend les quarts pénibles, c’est de se faire réveiller plusieurs fois par nuit par cet affreux réveil !! Donc on dort théoriquement 6 heures par nuit ce qui est suffisant car on peut faire des siestes en journée (c’était l’occupation favorite d’Anaïs ;)). Et les tranches de 3 heures debout se passent bien (en même temps, on avait de belles conditions), ça laisse le temps de regarder un film par quart, de lire ou écouter de la musique en regardant les étoiles et le lever de lune.

À lire aussi  Les meilleurs sites pour créer une carte postale personnalisée

Anaïs : Quand on parlait à d’autres équipages sur les pontons de Mindelo et qu’ils apprenaient qu’on allait faire la traversée seulement à deux, les principales questions étaient : « Mais vous avez un bon pilote ? » et « Vous allez faire comment pour les quarts ? »

Heureusement, pas de souci du côté du pilote, si on a dû barrer de temps en temps, c’est pour une autre raison (voir ci-dessous). Par contre, pour les quarts, évidemment, ce n’est pas la même organisation qu’avec un équipage plus nombreux. D’ailleurs, la plupart des bateaux partaient avec une moyenne de 4 passagers à bord, justement pour pouvoir dormir plus la nuit. Nous, on avait envie de vivre cette expérience à deux, quitte à rythmer davantage nos nuits. On a donc fait des quarts de 3 heures, suite aux conseils d’autres marins.

Est-ce que c’est fatigant ?

Damien : On arrive de cette transat en pleine forme, je ne me suis pas du tout senti fatigué pendant ces 2 semaines, une petite sieste de temps en temps pour revigorer le bonhomme, quelques heures de méditation profonde en observant les étoiles et voilà le secret ! Physiquement, ce n’était pas très exigeant, peu de manœuvres, peu de pluie et pas de gros temps.

Il n’y a jamais eu de baisse de moral non plus, grâce aux occupations, au temps qui file, chaque soir, j’étais ravi de me dire qu’il restait un jour de moins. Et puis, on n’a pas eu de pétole donc quand on compte une moyenne de 140 milles par jour, ça fait chaud au cœur !

Anaïs : On arrivait à bien se reposer dans la cabine arrière, calés entre les oreillers et les coussins pour ne pas trop bouger (car ça roule pas mal des fois). Plus le temps passait et moins le roulis ni les bruits environnants ne me dérangeaient pour dormir. Ça peut faire du bruit un bateau en navigation pourtant ! Entre les bocaux des placards qui s’entrechoquent, la vaisselle qui bouge, certaines parois qui se mettent à craquer, les voiles qui battent de temps en temps, ce n’est pas tout calme. Mais on finit par faire abstraction…

Et puis, moralement, rien à voir avec les deux traversées précédentes, où je n’avais qu’une hâte, c’était d’arriver et du coup, je ne voyais que les mauvais côtés à bord. Là, je suis partie sans penser justement à la fin, peu importe le nombre de jours qu’il prendra. Et ça change tout pour le moral ! On prend le temps, on profite, on se repose mieux.

Qu’est-ce qu’on mange à bord ? Est-on obligé de se cuisiner des plats lyophilisés ?

Damien : Manger était l’occupation numéro 1 à bord de Manwë !! Donc avant de partir, on avait fait le plein de fruits et légumes qui ont bien tenu jusqu’à la deuxième semaine pour les patates douces. On a même des bananes qui sont à peine mûres à l’heure où je vous parle ! Évidemment, les pâtes ou le riz sont régulièrement au menu, mais j’adore les pâtes… donc ça me plaît surtout que l’on avait tout plein de sauces ou boîtes de thon pour accompagner au cas où…

À lire aussi  Usiner – Charpente fermette

Finalement, j’ai réussi à remonter plusieurs poissons à intervalle régulier. Je suis assez content de moi sur ce point 😉. 3 dorades coryphènes dont une grosse qui m’a valu un beau combat pour la remonter, un beau wahou (thazard) et un barracuda que j’ai préféré relâcher de peur de la ciguatera.

Ça nous a permis de faire des repas de poisson cru, à la sortie de l’eau (dit à la tahitienne), mariné dans du citron et lait de coco, un régal et ensuite faire des conserves (première expérience concluante, on recommencera) et même du poisson séché, une expérience culinaire très étonnante, il nous en reste pour 2 mois au moins !

Anaïs : Eh bien, on a pu faire de vrais repas, assez équilibrés la plupart du temps ! Avec parfois un petit goûter en prime 🙂 Pas d’apéro par contre… Eh oui, même si on pense que c’est une des activités principales lors d’une navigation (et ça l’est pour de nombreux voiliers), nous n’en avons pas fait à bord de Manwë. D’une part, parce que boire de l’alcool ne me donnait pas envie plus que ça, je ne voulais pas risquer de tomber malade et d’autre part, nous n’avions pas de frigo suite à nos problèmes d’énergie, donc une bière chaude c’est moyen ! Damien en a seulement bu une de tout le trajet…

Voici les différents mets que l’on a pu préparer pendant ces 15 jours en mer. On n’a pas eu à préparer des menus à l’avance car nous n’étions que deux, ça reste assez facile.

Petit-déjeuner :

  • Pain maison, préparé par Damien. Pétrit la veille et cuit durant la nuit pendant un quart, c’était très agréable d’avoir l’odeur du pain chaud au réveil !
  • Porridge, une de mes spécialités. Facile à faire, ça cale bien pour la matinée. Il suffit de faire chauffer des flocons d’avoine avec du lait dans une casserole et on ajoutait du chocolat en poudre ou de la confiture.
  • Petits déjeuners anglais. On adore vraiment ça et c’était un plaisir d’avoir encore à bord deux conserves de beans. Le premier, on avait encore du bacon, acheté avant le départ. Bon, le second il a juste fallu se contenter d’un œuf et de toasts, mais c’est déjà très bon 🙂

Déjeuner ou dîner :

  • Salades pour le midi. Les avocats du marché de Mindelo notamment étaient super bons, les tomates se sont bien gardées et le chou, ça dure longtemps à deux avant de tout consommer !
  • Poissons frais, pêchés par Damien.