La question du vote blanc secoue la France cette semaine. Des familles se déchirent et des amitiés se détériorent dès que le sujet est abordé.
En tant qu’éditrice et journaliste travaillant à l’étranger depuis 12 ans, ce sujet m’émeut d’autant plus que je ne peux pas en discuter avec mes compatriotes en face à face. Mais une chose reste claire dans mon esprit: l’idée de voir le Front National élu est inimaginable. Leurs valeurs ne sont pas les miennes. Leurs valeurs ne sont pas les valeurs de la France. Leur extrémisme doit absolument être éradiqué de nos terres. Si cela signifie voter pour Emmanuel Macron, alors tant pis – la question ne se pose même pas.
Ma cousine, Flavie Péglion, 25 ans, est militante de gauche: “quand je dis que je suis socialiste, ce n’est pas comme Manuel Valls, mais comme Léon Blum ou Jean Jaurès”. Flavie a voté pour Jean-Luc Mélenchon et votera blanc dimanche. Ne comprenant pas son choix, j’ai décidé d’en débattre avec elle.
Quelle a été ta réaction après le premier tour?
J’étais un peu déçue, car Mélenchon était vraiment monté dans les derniers sondages, mais je savais que le deuxième tour serait entre Macron et Le Pen. Cependant, je suis quand même contente, car si l’on cumule le score de Benoît Hamon et celui de Mélenchon (26% des votes), ce sont les idées de gauche qui ont gagné.
Pourquoi veux-tu voter blanc au deuxième tour? Je suis effarée à l’idée d’avoir une présidente d’extrême droite en France: cela serait le régime le plus extrémiste depuis Vichy. Je suis vraiment apeurée en pensant aux plus vulnérables d’entre nous, ni toi ni moi nécessairement, mais les groupes minoritaires, les musulmans, les réfugiés qui seront les premiers à souffrir sous un régime du FN. Et c’est sans même aborder les questions féministes comme le droit à l’avortement. En sachant cela, comment peux-tu leur laisser une chance de gagner?
Je te comprends, mais je me sens complètement emprisonnée dans un jeu très pervers. Pour moi, voter Macron aujourd’hui, c’est continuer à faire augmenter le FN. Dans cinq ans, si aucune opposition assez forte sur les questions sociales ne peut tenir tête à Marine Le Pen, il n’y aura aucune raison qu’elle ne soit pas élue présidente. Les votes en faveur de politiciens comme Macron, à mon avis, ne font qu’alimenter l’extrême droite depuis des années. Pour moi, c’est un peu le serpent qui se mord la queue.
Peux-tu m’en dire plus?
Aujourd’hui, l’électorat de Le Pen n’est pas exclusivement raciste ou xénophobe. Ce sont aussi des personnes qui pensent que “tous les politiciens sont pourris” : ils estiment que les politiciens sont tous les mêmes et qu’il ne reste que le FN pour changer la donne. Ils se sentent abandonnés par la classe politique. Marine Le Pen se présente dès lors comme la candidate du peuple en abordant des questions sociales négligées par le PS pendant des années, pour lesquelles la droite n’a rien fait non plus. C’est pour cela que de nombreux agriculteurs, ouvriers, artisans et travailleurs pauvres votent pour elle. Elle propose d’augmenter les minima sociaux, les retraites, et c’est ce que les gens veulent entendre.
Les ultra-libéraux comme Macron et Hollande, qui défendent une Europe où il n’est plus possible de protéger les travailleurs français, nous ont légué une politique qui divise et laisse le champ libre aux partis comme le FN, qui se présentent comme de grands sauveurs pour “sauver” le peuple.
Certes. Mais dans quelques jours, on risque d’avoir une présidente FN en France. Quand le FN est passé au premier tour en 2002, je me rappelle avoir descendu dans les rues avec des millions de Français pour dire “plus jamais”. C’était un moment clé de notre vie politique contemporaine. Et maintenant, nous y revoilà. Si elle est élue, que va-t-il se passer?
Ce serait une catastrophe. Elle se rendrait à Bruxelles pour appliquer l’article 50 du traité sur l’Union européenne. D’un point de vue économique, cela serait un tsunami : inflation, baisse du pouvoir d’achat… J’en suis consciente et cela ne me réjouit pas du tout.
J’ai aussi peur qu’elle ne s’inspire de Donald Trump, et qu’elle aborde des sujets comme les signes religieux, le voile, les droits des réfugiés… elle aurait vraiment les musulmans dans le collimateur.
Oui, mais pour discriminer les musulmans, elle n’aura pas besoin de personne que ce soit en tant que présidente ou non. Le FN n’est pas le seul parti à tenir des propos scandaleux contre les musulmans, les noirs ou les Arabes. Fillon en a fait de même.
Donc quel est ton pronostic pour ce week-end?
C’est ma conviction profonde : elle ne sera pas élue.
Pour moi, c’est vraiment un acte de foi. C’est aussi exactement ce que tout le monde disait à propos de Trump – il n’avait aucune chance, soi-disant…
Moi, j’assume les conséquences de ce que je dis. Si demain elle est présidente, je n’aurai pas le droit de me plaindre, car je sais très bien la raison pour laquelle je vais voter blanc.
Si elle gagne, que feras-tu?
Cela me fera vraiment mal au cœur, mais j’accepterai la réalité en pensant que le prochain combat sera lors des législatives. Il y aura ainsi un véritable pouvoir d’opposition qui nous empêchera d’aller à la catastrophe. Il y a des lois en France qui dépendent de la constitution et Le Pen a beaucoup de propositions qui ne sont pas forcément applicables dans son programme. J’ai confiance en les institutions de mon pays : ce n’est pas parce qu’elle est présidente qu’elle pourra claquer des doigts et dire que tout se fera ainsi. Nous devons garder confiance en nous, le peuple français. Nous devons nous bouger et construire une véritable force d’opposition, une véritable résistance.
Que penses-tu de Mélenchon et de son hésitation à donner une consigne de vote?
Pour moi, c’est logique. Toute sa campagne était contre Macron et Le Pen. Son objectif pendant la campagne était de convaincre les sympathisants FN de voter pour lui, et pour un certain nombre, il a réussi. Cela me convient car aucun autre politicien n’a abordé de manière aussi directe les idées du FN. C’est sur ce terrain qu’il faut combattre, je pense.
Le fameux “front républicain”, pour moi, est un grand mensonge que je ne supporte plus. Bien sûr, il faut être contre le FN, mais je ne supporte pas les politiciens qui utilisent cet argument comme un étendard car cela les arrange de toujours brandir la menace du FN. Ainsi, ils pensent qu’il suffit d’être au second tour pour être élu et que tout est gagné.
D’ailleurs, toutes les personnes qui appellent à faire front contre Marine Le Pen sont celles qui ont abandonné Benoît Hamon dès le premier tour : Valls, Jean-Yves Le Drian, etc. Ne nous mentons pas, cela les arrange quelque part que le FN ait autant de succès, car une fois au second tour, ils seront élus.
Ce qui m’interpelle dans ton raisonnement, c’est que ta ligne de pensée est un peu nihiliste. En résumé, tu dis qu’une bombe politique va exploser et que Le Pen pourrait gagner, mais si ce n’est pas le cas, nous aurons les mêmes politiciens qu’avant. Ma réflexion est que nous n’avons pas le choix.
Je ne veux vraiment pas voir Le Pen au pouvoir. Il y a évidemment des gens qui souffriront si elle est élue, des gens qui vont connaître des moments très sombres. Mais on oublie de parler de tous ceux qui vivront également des heures très sombres si Macron est élu. Si l’on regarde ce qu’il veut faire, notamment en matière de questions sociales, et son plan de semi-privatisation du système de santé, un système un peu à l’américaine, il est clair que cela sera terrible pour les plus vulnérables d’entre nous.