Philosophe et historien, Arnaud de la Croix a consacré sa carrière à étudier les marges de l’Histoire, les aspects souvent passés sous silence. Dans son dernier essai, intitulé “Le pacte avec le diable”, il se penche sur la généalogie de l’évolution du motif d’un commerce avec les forces obscures. De saint Augustin à David Bowie, en passant par Racine, l’auteur décrypte les différentes manifestations de ce pacte diabolique au fil des siècles.
Des Accointances avec les Démons
Dans l’œuvre de saint Augustin, l’idée d’un pacte diabolique émerge, marquant le début d’une longue évolution de ce concept. Au 4e et 5e siècle, alors que la chrétienté cherche à s’affirmer et à éradiquer les vestiges du paganisme, l’accusation de pacte avec le prince des ténèbres revêt un sens stratégique. Augustin, évêque d’Hippone et père de l’Église, défend l’idée d’un libre-arbitre accordé à l’homme, qui lui permet de pécher et de s’adonner au mal, sous la forme de la magie et du commerce avec les démons.
Du Moyen Âge à la Renaissance
Au Moyen Âge, Arnaud de la Croix étudie plusieurs cas d’allégeance au diable, tels que celui de l’évêque Basile, Théophile ou encore Gilles de Rais. Ces exemples démontrent que l’emprise diabolique n’est pas irréversible. Celui qui pactise avec le malin, transgressant les lois et les normes de la société, peut tout de même retrouver le salut en se repentant et en rompant le pacte avec le diable. Cette dialectique entre Dieu et le Diable s’inspire des écrits de Saint Paul, selon lesquels “la loi crée le péché”. Croire en Dieu impliquerait-il logiquement de croire en l’existence du Diable, et vice versa ?
L’Évolution du Mal aux Yeux de l’Église
Les agents du Mal ont évolué au fil du temps dans la perception de l’Église. Tout d’abord associés aux divinités païennes préchrétiennes, ils ont ensuite été identifiés aux adorateurs de Yahvé et de Mahomet. Le diabolique est perçu comme une altérité à convertir ou à anéantir pour asseoir l’autorité de l’Église. L’auteur interroge également des ouvrages tels que le Codex Gigas, connu sous le nom de la Bible du Diable, ou encore le grimoire du philosophe Albert le Grand, attribué à Gilles de Rais. Il met en lumière le rôle central de Saint Thomas d’Aquin, qui a fait évoluer la perception des pratiques démoniaques, les faisant passer de superstitions associées aux classes populaires à une forme de magie savante pratiquée par des hommes d’Église et des esprits nobles.
Du Bûcher à la Sécularisation
Le tournant rationaliste et cartésien du 17e et 18e siècle a progressivement écarté les savoirs féminins, tels que ceux des guérisseuses et des sages-femmes. Les savoirs “autres”, populaires et féminins, ont été discrédités, entraînant l’émergence de la médecine masculine. La qualification de “crime démoniaque” a perdu de sa pertinence. Cependant, au fil de la sécularisation de la société, le motif du pacte avec le diable a resurgi dans d’autres domaines, principalement dans le champ artistique. Des musiciens tels que Paganini, Robert Johnson, les Rolling Stones, Jimmy Page et David Bowie ont été associés à des influences sataniques, symboles d’une fascination pour les ténèbres.
Dans “Le pacte avec le diable”, Arnaud de la Croix nous offre une plongée captivante dans l’histoire de ce motif obscur. De saint Augustin à David Bowie, il nous dévoile les différentes facettes de cette fascination séculaire pour les forces du mal. Une lecture incontournable pour les amateurs de philosophie, d’histoire et de musique.